"Je travaille depuis 20 ans en soins palliatifs. Je suis infirmier et j'accompagne des individus comme vous et moi dans leurs derniers moments de vie. Je suis témoin de la fin de vie d'individus qui font partie de ma communauté... Mais je dois admettre que cette même communauté investit peu en argent, en temps et en imagination pour les accompagner.
Vingt ans à être témoin, dans l'impuissance, oui dans l'impuissance, de ne pouvoir donner à tous les mêmes soins, le même accompagnement, à tous les membres de ma communauté, s'entend !
Je travaille à la Maison Michel-Sarrazin à Québec. Ce lieu malheureusement trop unique où l'on se fait un devoir moral d'aider l'individu en fin de vie et ses proches à apprivoiser cette fin de vie tout en continuant à vivre, un lieu trop unique et exceptionnel, car il devrait y avoir beaucoup plus de ces maisons qui existent comme dans une autre dimension, hors de notre réalité quotidienne."
"Être infirmier dans un tel milieu me fait participer à un rituel de remerciement. Remercier un être humain pour son apport à la société, pour sa contribution, pour avoir donné au suivant, pour avoir investi dans sa famille, dans son travail, dans ses loisirs, pour avoir fait en sorte que notre communauté soit meilleure. Tous tant que nous sommes, membres de cette communauté, nous avons le droit d'être accompagnés en fin de vie, que nous en ayons été jugés dignes ou non.
Nous sommes présents à tous nos rituels de passage, baptême, première communion, diplômes d'études secondaires, universitaires, mariage... mais non en fin de vie. Où sommes-nous comme société ? Il suffit de réfléchir à notre investissement collectif envers les gens en fin de vie et les personnes âgées en perte d'autonomie pour réaliser à quel point nous avons encore beaucoup à apprendre.
Nous préférons investir dans la poursuite de l'éternité, telles la greffe d'organes, la recherche sur les cellules souches, des choix qui nous éloignent de notre réalité d'êtres humains : nous mourrons. Voulons-nous mourir seul ? La principale souffrance que nous voulons éviter n'est-elle pas de mourir seul ? Nos choix de société actuels sont-ils congruents avec nos peurs et nos craintes ?
En 20 ans, peu de choses ont changé. Il y a plus de 20 ans, certains individus se sont battus pour changer les mentalités. Ils ont réussi à créer des milieux où l'on pouvait espérer des changements. Avons-nous réellement changé des choses ? Oui, la médecine a amorcé un changement en ouvrant sur la perspective que la mortalité n'est pas un échec scientifique, mais une réalité existentielle. Mais la société (politique) québécoise a-t-elle accepté cette réalité ?
Je ne le crois pas. Nous préférons fuir cette réalité en investissant dans la quête de l'éternité au lieu d'accepter notre véritable finalité d'être humain. Nous sommes tous égaux devant la mort. Quand aurons-nous un discours politique qui se tiendra loin des sondages électoralistes et qui prendra véritablement compte de la réalité des humains qui composent notre société ?
Je vous ai fait parvenir ce témoignage, car je suis de plus en plus confronté à l'ignorance de mes pairs sur cette réalité qu'est la fin de notre vie. Nous ne sommes pas éternels. C'est ainsi. Voulons-nous mourir seul ? Accompagné ? Dans un corridor d'urgence ? Dans un lieu propice ? Bien sûr, nous souhaiterions mourir au bord d'un lac, dans un chalet, accompagné des gens qui nous aiment, sans mettre fin à nos jours, mais plutôt entouré d'amour, de compassion, d'écoute et d'empathie....
Pourquoi notre communauté ne serait pas celle qui nous offrirait cette présence ?"
Yves Bonenfant
Infirmier
Cap-Rouge
Source :
http://www.cyberpresse.ca
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