Quelle relation les Français entretiennent-ils avec le don d’organes et la greffe ?
Deux études inédites pour comprendre, une campagne d’information pour agir :
"Au terme d’une année riche en actualités sur le don d’organes et la greffe, l’Agence de la biomédecine présente les résultats de deux études inédites sur les attitudes personnelles et les perceptions sociales autour du don d’organes et de la greffe. Présentées simultanément lors d’un Colloque organisé le 12 décembre à Paris, ces deux études ont cependant été conduites séparément, chacune auprès d’une cible particulière : les adultes d’une part, les jeunes de 16-25 ans d’autre part. Elles nous enseignent que le don d’organes est devenu un sujet assimilé par les Français, qui expriment néanmoins un fort besoin d’informations, en particulier les jeunes. Une adhésion massive au principe du don en vue de greffe s’exprime mais rencontre des obstacles de nature diverse lorsqu’il s’agit d’initier un dialogue sur le sujet ou de transmettre sa position personnelle à ses proches."
"Pour les comprendre, l’Agence de la biomédecine a sollicité trois experts dont les analyses esquissent des interprétations et des pistes d’action intéressantes : Gilles Boëtsch, anthropobiologiste, directeur de Recherches au CNRS ; Michel Fize, sociologue au CNRS, spécialiste des questions de l’adolescence, de la jeunesse et de la famille. Et Daniel Marcelli, spécialiste de la famille, Professeur de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent du Centre Hospitalier Henri Laborit de Poitiers.
Pour accompagner les médecins dans leur mission de sensibilisation auprès de leurs jeunes patients, l’Agence de la biomédecine lance la première campagne nationale d’information sur le don d’organes et la greffe auprès des 16-25 ans. Des spots radio, un site Internet dédié, un Guide d’information et des relais dans les lycées constituent les principaux éléments du dispositif. Fondée sur l’accès à la connaissance et sur la confiance, cette première campagne permet d’amorcer un travail qui se poursuivra auprès des jeunes, dans les années à venir."
L’étude auprès des adultes :
Parler du don d’organes, un passage à l’acte difficile
"L’étude conduite en septembre 2006 a cherché à analyser le processus de prise de position sur le don d’organes et éclairer les circuits par lesquels un individu transmet sa position à ses proches. Un constat s’impose à la lecture des résultats. Le rôle de l’échange avec autrui est primordial, à deux niveaux : à la fois pour se décider sur sa position et aussi pour exprimer sa décision. Or cet échange est difficile, ce qui explique le décalage frappant entre l’opinion favorable de la majorité de la population et la difficulté de transformer cette opinion en position ferme, que l’on exprime auprès de ses proches.
70 pour cent des Français ont déjà pensé au don d’organes : le sujet fait désormais partie de leurs préoccupations de santé. Ils y adhèrent par ailleurs massivement : 85 pour cent y sont favorables. Pourtant, le chemin qui mène à se forger sa position est difficile, car 39 pour cent seulement de la population a pris position sur le don d’organes. La réflexion semble un élément important de la décision : la moitié des Français pensent que si l’on n’a pas pris position c’est que l’on n’y a pas encore réfléchi. Dans ce cadre, on constate que les personnes qui ont le plus facilement fait aboutir leur réflexion sont celles qui ont discuté du sujet avec leur entourage pour confronter leurs idées. Or 48 pour cent des sondés seulement en ont discuté, surtout avec des amis, et un tiers attend 'la bonne occasion'. Pourquoi un tel attentisme ? Le niveau de connaissances sur le sujet est disparate : cela peut susciter des réticences à aborder un sujet que l’on maîtrise mal, notamment dans ses aspects complexes (la mort encéphalique, la législation...). Par ailleurs, certaines croyances liées à l’imaginaire du corps sont très fortes : 45 pour cent des Français pensent que le corps risque d’être mutilé.
Un autre défi attend celui qui pris sa décision sur le don de ses organes après son décès : le dire à ses proches. 45 pour cent de la population estiment difficile de faire connaître sa position alors que 91 pour cent trouvent que c’est important. Et ça l’est d’autant plus que 85 pour cent jugent traumatisant de prendre une décision à la place d’un proche décédé. Au total, 41 pour cent des sondés ont fait connaître leur position, surtout pour qu’on respecte leur volonté et pour épargner une décision difficile à leurs proches. Pour les 59 pour cent qui ne l’ont pas fait, l’attente de la 'bonne occasion' est un argument majeur, de même que la réticence à parler de la mort, un sujet qui reste un tabou."
L’étude auprès des jeunes :
Un sujet d’utilité sociale qu’ils veulent mieux connaître
"Quelle perception les jeunes ont du don d’organes ? L’étude menée à l’automne 2006 auprès des 16-25 ans a tenté de saisir les éléments structurants de leur opinion sur le sujet. Il apparaît que c’est un thème auquel ils adhèrent spontanément, notamment parce qu’ils conçoivent le sujet en termes d’utilité sociale. Mais ils le connaissent mal et pour développer leur capacité à en parler, ils souhaitent être mieux informés. 84 pour cent des jeunes sont favorables au don d’organes et 70 pour cent sont d’accord pour que l’on prenne leurs organes en cas de décès. Si 96 pour cent ont entendu parler du sujet, ils ne semblent pas en avoir une connaissance toujours précise au-delà de sa simple définition. Comment cela se passe, dans quel cas prélève-t-on... sont des données pas toujours bien appréhendées.
Comment les jeunes construisent-ils une opinion favorable sur le don d’organes ? Ils développent une approche 'éthique' du sujet, à trois niveaux. D’abord au travers du respect du corps : 75 pour cent des 16-25 ans jugent important de préserver l’apparence du corps. Ils établissent de ce fait une hiérarchie claire des organes : ce qui se voit (peau, yeux) est plus difficilement prélevable. Par ailleurs, le don d’organes a une utilité sociale : 95 pour cent estiment que le don d’organes est un acte généreux et utile. Les jeunes enfin expriment leur confiance dans le système en place et dans sa gestion à 77 pour cent.
42 pour cent des jeunes considèrent que c’est un thème difficile à aborder dans une discussion, et qu’ils l’aborderaient mieux avec une personne du même âge, des interlocuteurs à l’esprit ouvert ou des professionnels de santé. Cela apparaît plus difficile avec la famille. En pratique, 65 pour cent ont en déjà parlé à leurs amis surtout à l’occasion d’un élément déclencheur (les médias, une discussion en milieu scolaire). Les jeunes attendent des informations précises, pédagogiques : qu’on les fasse réfléchir (97 pour cent) et qu’on leur explique comment se passent le prélèvement et la greffe (92 pour cent), en passant de préférence par un intervenant en milieu scolaire ou le médecin."
Le regard des experts
"Pour Gilles Boëtsch, anthropobiologiste, directeur de Recherches au CNRS, président du Conseil scientifique du CNRS, les résultats des études apportent un éclairage sur le rapport que nous entretenons avec notre corps, dans nos sociétés occidentales. Le don d’organes et la greffe questionne notre imaginaire du corps (hiérarchie entre les organes, mise à mal d’une représentation unifiée), le sens intime et social à donner à cette forme de don très particulier, ainsi que notre difficulté à penser à la mort.
Pour Michel Fize, sociologue au CNRS, spécialiste des questions de l’adolescence, de la jeunesse et de la famille, les études pointent chez les jeunes un désir d’utilité et un fort potentiel d’engagement sur un sujet comme celui-ci, en même temps qu’une revendication marquée pour l’exercice d’un libre-arbitre. Elles mettent en lumière la position à la fois centrale et ambiguë de la famille dans le dispositif d’échange et de partage de sa position.
Pour Daniel Marcelli, spécialiste de la famille, Professeur de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent du Centre Hospitalier Henri Laborit de Poitiers, le corps occupe une place centrale dans la construction de l’identité propre à l’adolescence et au passage à l’âge adulte. Le don d’organes bouscule cette construction identitaire et lance aux jeunes un défi supplémentaire : accepter de se désapproprier d’une partie de ce corps en construction. D’où des réactions très caractéristiques, comme les réticences sur le prélèvement des organes 'identitaires'."
Sources - et pour en savoir plus...
Agence de la biomédecine
Enquête sur le don d'organes par l'Agence de la biomédecine :
==> télécharger le document PDF (37 pages ; 1,7 Mo) : cliquer ici.
© Agence de la biomédecine
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