L'eugénisme de liberté défendu par le Professeur Debré
En matière de progrès scientifique comme ailleurs, mieux vaut anticiper que subir, explique Bernard Debré, dans son livre le plus récent, "La Revanche du serpent ou la fin de l'Homo sapiens". La révolution génétique va changer notre monde. A nous de garder le meilleur, le clonage thérapeutique, entre autres, pour éviter le pire : le clonage reproductif.
"Sans mâcher ses mots et sans détour, Bernard Debré nous expose la réalité : clonages reproductif et thérapeutique marchent main dans la main et seront très bientôt, s'ils ne le sont pas déjà, à portée d'éprouvette. Plutôt que nous voiler la face et gloser sans fin sur ce qu'il est légitime ou illégitime d'empêcher, tenons compte de cet état de fait et sachons voir que 'la médecine génétique de demain n'est pas plus éloignée de l'humanisme traditionnel que la médecine issue de Claude Bernard', pourvu qu'elle respecte l'homme et son choix. L'auteur, qui plaide pour l'utilisation du clonage à visée thérapeutique, n'hésite pas à prononcer les mots qui fâchent pour étayer et faire comprendre son propos. Eugénisme, par exemple : si 'l'eugénisme d'Etat est de triste mémoire, l'eugénisme personnel, de liberté' n'a rien de scandaleux, explique-t-il. L'eugénisme totalitaire obéit à une logique d'exclusion tandis que l'eugénisme d'évitement (obtenir par manipulation génétique un enfant indemne d'une affection par exemple) est d'essence strictement individuelle et n'est rien d'autre que 'l'extension en amont de la médecine d'autrefois' ".
"Nous y sommes déjà lorsque des diagnostics préimplantatoires sont proposés dans le cadre du dépistage de certaines maladies génétiques, nous dit-il, ou lorsque nous pratiquons des amniocentèses pour permettre aux futurs parents de décider de l'avenir d'une grossesse. Plus nos connaissances évolueront et s'enrichiront, plus la liste des maladies détectables s'allongera. Qui oserait contester la légitimité de ce choix, avoir ou ne pas avoir un enfant atteint d'une affection X ou Y, alors que nous acceptons qu'une femme avorte sans raison médicale. La différence entre eugénisme d'Etat et eugénisme individuel est précisément cette liberté laissée à chacun. Si l'Etat décidait d'empêcher un couple d'avoir un enfant au prétexte qu'il est porteur d'une anomalie génétique, il s'agirait alors d'eugénisme totalitaire. A combattre évidemment.
A la recherche de la cellule souche.
Mieux vaut donner un sens aux transgressions scientifiques et médicales qui ne manqueront pas d'arriver dans les années proches que d'en refuser l'augure. Car on ne pourra, par des lois et des règlements, empêcher longtemps la recherche de progresser, particulièrement à l'heure de la mondialisation, explique Bernard Debré. La science n'est pas une morale et rien ne peut dissuader la recherche d'avancer, pour le meilleur ou pour le pire, nous dit-il ; raison de plus pour laisser l'éthique donner un sens aux progrès scientifiques et canaliser les choix et les objectifs. Le clonage thérapeutique sera le progrès médical majeur du XXIe siècle 'un acquis aussi essentiel que la conquête spatiale'. Nous acceptons le prélèvement d'organes sur des cadavres pour la transplantation, pourquoi ne pas permettre, en l'encadrant, le travail sur des cellules issues d'embryons sans projet parental pour progresser et pouvoir ensuite se passer de leur utilisation. Disposer de cellules souches réglerait le problème des dons d'organes et de la compatibilité, et ouvrirait des possibilités thérapeutiques multiples. Mais nous nageons en pleine contradiction, nous dit Bernard Debré : 'Nos sociétés contemporaines oscillent entre la tentation de faire sauter toutes les barrières traditionnelles (hédonisme, communautarismes sexuels...) et celle de faire surgir de nouveaux interdits non fondés sur une morale mais sur la peur que fait naître le refus non assumé de cette morale.'
Nous voici au seuil d'une des plus grandes transgressions, celle du remplacement de la reproduction naturelle par le clonage. Bernard Debré développe les arguments éthiques qui, au nom de la dignité de l'homme, justifient que nous nous y opposions. 'Mais rien ne sert de s'opposer à l'irréversible : on n'empêche valablement ce qu'on redoute qu'en proposant mieux.' C'est pourquoi, nous devons favoriser les travaux sur le clonage thérapeutique et non les criminaliser, attitude aussi absurde que la criminalisation des vaccins à leur début. Même si nous devons passer, dans un premier temps, par la recherche sur l'embryon pour maîtriser l'utilisation de nos propres cellules".
Dr. Caroline Martineau
Bernard Debré, "la Revanche du serpent ou la fin de l'Homo sapiens", Le Cherche-Midi, 182 pages, 10 euros.
© Le Quotidien du Médecin
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