Luc Noël, responsable de la lutte contre le "tourisme de transplantation" au sein de l'Organisation mondiale de la santé (OMS)
"Que pense le coordinateur de l'unité Procédures cliniques de l'OMS que vous êtes de l'évolution de la Chine sur la question des prélèvements d'organes ?
Les prélèvements effectués en Chine sur des condamnés à mort exécutés étaient jusqu'à maintenant une source de trafic. Les organes étaient greffés sur des receveurs étrangers. Des agences japonaises spécialisées avaient pignon sur rue à Pékin. Cette activité, qui représentait plusieurs milliers de transplantations annuelles, permettait à des établissements ou à des individus de s'enrichir. En novembre 2005, le professeur Huang Jiefu, vice-ministre chinois de la santé, a confirmé que l'essentiel des transplantations était effectué à partir d'organes prélevés sur des condamnés à mort. Il s'est engagé à faire cesser le commerce d'organes. Une loi provisoire a été promulguée en mars 2006. Et le 6 avril, le Conseil d'Etat chinois vient d'adopter une loi beaucoup plus stricte qui, en pratique, interdit la commercialisation des organes et définit ce que doit être le consentement. Dans le même temps, les autorités chinoises développent des alternatives, qu'il s'agisse des prélèvements sur donneurs vivants apparentés ou sur personnes en état de mort cérébrale.
Quelle est la position de l'OMS face au développement de réseaux internationaux et commerciaux de prélèvements et de transplantations ?
En 1991, l'OMS avait défini des principes guides, incluant l'absence de rémunération des donneurs d'organes, qui ont influencé les pratiques et les lois dans de nombreux pays. En 2004, l'Assemblée mondiale de la santé, qui réunit les Etats membres de l'OMS, s'est saisie du sujet en adoptant une résolution soulignant que cette activité chirurgicale - qui ne s'inscrit pas dans une relation médecin-malade mais constitue un service de la communauté pour la communauté - est de la responsabilité des gouvernements et des autorités sanitaires nationales, comptables de l'utilisation et de la traçabilité des produits et des organes du corps humain.
Cette résolution dénonce le tourisme de transplantation et le trafic d'organes et demande à l'OMS de fédérer le combat contre ces pratiques. Parallèlement, elle encourage le développement des dons de reins prélevés chez des personnes vivantes pour compléter les prélèvements effectués chez les personnes décédées. Nous savons en effet que certains pays développés ne pratiquent pas, ou peu, la chirurgie de transplantation. C'est notamment le cas du Japon, où 200 000 personnes sont aujourd'hui en hémodialyse.
Qu'appelle-t-on précisément tourisme de transplantation ?
Il s'agit du déplacement géographique de différents acteurs (personnes en quête d'un organe, chirurgiens pratiquant les greffes...) dans le seul but d'effectuer une transplantation aux dépens d'une personne vulnérable.
Que sait-on de cette activité ?
Nous connaissons des chirurgiens qui participent à de tels trafics. L'un d'entre eux - de nationalité israélienne - a été arrêté, il y a quelques jours, dans une clinique turque, pour transplantation illégale. Il existe des flux très bien identifiés, comme celui des Brésiliens qui vont se faire prélever un rein en Afrique du Sud, organe ensuite greffé sur des Israéliens.
En pratique, ce sont le plus souvent les receveurs qui se déplacent dans des pays où de telles greffes sont pratiquées à partir de l'exploitation de donneurs vivants. C'est notamment le cas de l'Egypte, où aucun cadre légal n'existe, des Philippines ou du Pakistan, où, jusqu'à ces derniers temps, on pratiquait chaque année environ 2 000 transplantations rénales.
Observe-t-on au Pakistan une évolution comparable à celle de la Chine ?
Oui. Dans ce pays les autorités ont récemment ressorti un vieux projet de texte de loi qui n'avait pas été soumis au Parlement pour ne pas gêner les circuits commerciaux en place. Ce texte suit actuellement son parcours législatif. Il ne nous semble toutefois pas assez rigoureux concernant l'évaluation du consentement du donneur vivant.
C'est le même défaut que l'on retrouve dans la loi indienne. Cette loi a permis, en 1995, de mettre un terme au tourisme de transplantation - qui s'est alors déplacé vers l'Irak, jusqu'en 2002, et le Pakistan - sans faire cesser pour autant les trafics internes. La Chine ayant décidé à son tour d'arrêter, les équilibres de ce commerce vont se trouver rapidement bouleversés. L'inquiétude est particulièrement vive en Corée du Sud et en Arabie saoudite, d'où, en 2006, 700 personnes sont allées se faire greffer à l'étranger.
Chaque pays va devoir réfléchir à la question et parvenir, dans ce domaine, à une forme d'autosuffisance. Pour notre part, nous bâtissons, avec l'aide du gouvernement espagnol, un observatoire assurant, via Internet, la transparence, pays par pays, de l'ensemble des informations concernant les activités de prélèvements et de greffes de cellules, tissus et organes humains."
Propos recueillis par Jean-Yves Nau
CHIFFRES
PÉNURIE
De nombreux pays doivent faire face à une pénurie majeure d'organes transplantables. En Europe occidentale, 120 000 patients sont en dialyse et 40 000 en attente d'une greffe de rein. Le délai moyen pour une greffe est de l'ordre de trois ans et pourrait être de dix ans en 2010. Cette pénurie correspond à une diminution constante du nombre de donneurs en état de mort cérébrale, du fait, notamment, de la réduction des accidents de circulation.
UNE GREFFE SUR DIX
Selon l'OMS (www.who.int), 66 000 transplantations rénales ont été pratiquées dans le monde en 2005 ainsi que 21 000 greffes hépatiques et 6 000 greffes de coeur. Les rapports sur le tourisme de transplantation estiment que celui-ci correspondrait à 10 pour cent de l'ensemble des transplantations pratiquées dans le monde. Du fait des progrès thérapeutiques, ce phénomène se développe depuis le milieu des années 1990.
Source :
http://www.lemonde.fr
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