[France - Santé] Réponse à la tribune libre de "Demain, la Greffe" parue dans "Le Monde" du sam 3 décembre 2010.
Publié le décembre 9, 2010 par Yes Wiccan.
"Demain, la Greffe", par l’intermédiaire de Mme Yvanie Caillé, co-fondatrice de ce laboratoire d’idées, a exprimé son point de vue dans un article du Monde en date du samedi 3 décembre 2010 sous le titre "La révision de la loi bioéthique doit-elle servir à sauver des vies ?"
L'auteur de cette réponse est M. Alain Tesnière, père de Christophe, voir l'Affaire d'Amiens (1991). Voici ce que m'a écrit M. Tesnière, le 23/05/2007 :
"Je suis Alain Tesnière, le père de Christophe, dépecé à Amiens. Claire Boileau en parle dans son livre pp. 57-58*. J'ai écrit un livre** certes, mais il a fallu mener un combat de plus de dix ans à la suite de notre plainte. Un combat vain, mais j'ai accumulé beaucoup de documents, j'ai fait des recherches. Je continue à penser que le consentement présumé n'a aucun fondement éthique et qu'il faut le retirer de la loi. (…) Depuis 1991, pratiquement rien n'a changé dans la loi sur les prélèvements d'organes. Rien n'a changé dans le discours officiel qui n'est en fait que de la propagande. On entend toujours les mêmes mots 'pénurie de greffons' : c'est-à-dire pas assez de morts. Les bricolages juridiques des lois dites de bioéthique sont des contresens. Et j'en passe."
* Claire Boileau : "Dans le dédale du don d'organes. Le cheminement de l'ethnologue", Editions des archives contemporaines, 2002, pp.57-58 : "(...) 'l'affaire d'Amiens', révélée par le quotidien 'Le Monde', (...) éclate en 1992. Elle met précisément en exergue sinon la volonté du défunt, du moins l'information détenue par la famille en matière de prélèvements d'organes pratiqués sur un proche. En août 1991, les parents d'un jeune homme de 19 ans perdent leur fils à la suite d'un accident et consentent à certains prélèvements d'organes. En novembre, ils apprennent que des actes chirurgicaux autres que ceux auxquels ils avaient souscrit ont été effectués sur leur fils : le prélèvement de plusieurs artères ou veines et, surtout, le prélèvement des globes oculaires. Or si la loi Caillavet de 1976 autorisait bien les prélèvements d'organes à but thérapeutique, elle ne faisait toutefois pas obstacle à la loi Lafay de 1949 qui précisait que les prélèvements de cornées étaient soumis à un legs testamentaire. Or le jeune homme n'avait pas fait un tel legs. On leur fit savoir que le prélèvement de cornée pouvait être assimilé à un prélèvement de tissu dans la mesure où de nouvelles techniques évitaient l'extraction tout entière du globe oculaire. En ce cas, ils demandèrent pourquoi les globes oculaires de leur fils avaient été remplacés par des prothèses : 'Lorsque nous avons découvert que les médecins d'Amiens avaient trahi notre confiance en ne prélevant pas seulement les quatre organes que nous avions accepté de donner, mais aussi les veines, des artères et surtout les yeux de notre fils Christophe, remplacés par des globes oculaires artificiels, nous fûmes horrifiés. Les médecins n'avaient pas respecté leur engagement, avaient menti en cachant la réalité d'un prélèvement multi-organes, n'avaient pas respecté la loi Lafay qui exigeait un legs testamentaire pour le prélèvement des cornées. D'un point de vue éthique, nous découvrîmes que les médecins se mettaient au-dessus des lois et, encouragés par le législateur qui avait mis à leur disposition le consentement présumé, avaient une ignoble notion de la dignité et du respect de la personne humaine. La confiance a disparu, la transparence a été malmenée. Que reste-t-il ? Un profond sentiment d'horreur face aux prétendus progrès de la médecine. En effet, 'l'affaire d'Amiens' n'est pas un simple dérapage. Elle met en cause tout le système."
** Alain Tesnière est l'auteur du livre paru en 1993 aux Editions du Rocher : "Les Yeux de Christophe. L'affaire d'Amiens", et de l'article paru dans "Etudes", Paris, Novembre 1996 : "Où est l'éthique ?" [pp. 481-484]
"L’article repose sur une idée simple : puisque le projet de révision de la loi de bioéthique ne retient pas toutes les idées proposées par ce groupe de réflexion, les parlementaires n’ont pas la volonté de s’opposer fermement à la pénurie d’organes ; et comme des patients meurent à cause du manque d’organes disponibles, 'Demain, la Greffe' reproche au législateur une 'indifférence coupable'.
L’argumentation de Mme Yvanie Caillé s’organise en trois points.
I) On peut encore faire mieux en ce qui concerne les prélèvements sur les personnes en état de mort encéphalique. Pour cela, il faut faire diminuer le taux des refus.
Or, en France, la loi a confirmé le principe du consentement présumé. 'En ce qui concerne le taux de refus, il a été constaté que les pays au consentement exprès ont un taux de refus élevé tandis que l’Espagne ou la Pologne par exemple (consentement présumé) ont tendance à avoir un taux de refus plus bas'. (Cf. Communication du Dr Daniela Norba, Deutsche Stiftung Organtransplantation, p. 149, in 'Réflexions éthiques sur la pénurie d’organes en Europe', livre paru en 2010, sous la direction d’Yvanie Caillé et Michel Doucin).
Et le Dr Daniela Norba ajoute : 'Si le consentement présumé était la solution miracle, pourquoi y a-t-il encore des problèmes de pénurie en Espagne ou en France ?'
J’ajouterais que la loi Caillavet a été conçue en 1976 pour remédier à la pénurie d’organes. Quelle conclusion tirer lorsqu’une loi n’a pas atteint son objectif ?
On pourrait m’objecter que, même si la loi prévoit le consentement présumé, les coordinateurs demandent toujours à la famille si le défunt leur avait fait part de son opposition au prélèvement de son vivant. Est-ce l’équivalent d’un consentement explicite ? Bien sûr que non, puisque, comme le dit le Dr Norba, 'si l’on ne parvient pas à obtenir la volonté de la famille dans les pays nécessitant le consentement exprès, le prélèvement d’organes est tout simplement illégal, alors qu’il est autorisé par la loi dans les pays au consentement présumé.'
D’un côté, diminuer le taux de refus est une gageure étonnante dans un système fondé sur le consentement présumé, de l’autre, reconnaître que 'seulement 4.000 personnes décèdent chaque année' alors qu’il 'en faudrait 11.000 pour espérer répondre aux besoins de greffe de la population' est un défi déconcertant.
Pourtant des solutions ont été avancées lors de ce colloque.
Pour le Pr. Cabrol, membre de l’Académie Nationale de Médecine : 'Je voudrais résumer mon intervention à une recommandation : il faut convaincre le public que le don est un acte de solidarité humaine auquel personne ne devrait pouvoir s’opposer. Tout est fait dans la dignité, et le corps de la personne décédée est rendu extérieurement intact à la famille. Il faut que l’Etat envoie des missionnaires partout dans le pays pour expliquer la simplicité de ce geste au public. Je suis certain qu’alors, la pénurie diminuera.' (p. 25, in 'Réflexions éthiques sur la pénurie d’organes en Europe', sous la direction d’Yvanie Caillé et Michel Doucin).
Pour M. le Député Vialatte, Vice Président de la Mission d’information sur la révision des lois de bioéthique de l’Assemblée Nationale, 'le consentement présumé semble être la meilleure des solutions. Il convient d’organiser une information systématique (par exemple, lors de la délivrance de la carte d’identité ou de la carte vitale, proposer aux gens de s’inscrire sur le registre des refus), et non des campagnes d’information. A ce moment-là, le consentement présumé sera beaucoup moins discutable.' (p. 95, in 'Réflexions éthiques sur la pénurie d’organes en Europe', sous la direction d’Yvanie Caillé et Michel Doucin)
Pour un troisième, le Pr Christophe Legendre, chef de service de transplantation rénale adulte à l’hôpital Necker, il souhaiterait 'augmenter le nombre de donneurs décédés' (p. 69) sans préciser les mesures à prendre.
En effet, quelles mesures prendre lorsque 'Demain, la Greffe' pose comme principe que la loi doit servir à sauver des vies et qu’on est face à un problème épineux : il faudrait 11.000 personnes en état de mort cérébrale pour éviter le décès de 220 patients chaque année ?
Si on pose le problème dans la balance utilitariste, on peut obtenir la solution imaginée par John Harris dans son article The Survival Lottery. Le cœur de Y va lâcher, les poumons de Z vont cesser de fonctionner, le seul moyen de les sauver est de pratiquer une greffe. Dans aucun des cas, le résultat de l’état de santé ne résulte d’un comportement à risques. De plus, aucun organe n’est disponible à partir de cadavres. On convient que la transplantation d’un organe a toujours un résultat favorable. John Harris pose la question : Pourquoi ne pas tuer A et prélever ses organes pour sauver Y et Z ?
Pour étayer son argumentation, John Harris avance deux arguments.
Nous devons faire ce qui aura les meilleures conséquences. La meilleure conséquence est qu’il y ait plus de gens en vie. Si nous tuons une personne en bonne santé pour sauver la vie d’au moins deux personnes malades, davantage de personnes seront en vie que si l’on refuse de tuer une personne en bonne santé. Donc nous devons tuer une personne en bonne santé pour sauver au moins deux personnes malades qui vont mourir.
Le second argument repose sur un argument d’équité, de justice. En face de circonstances où nous devons tuer un individu, nous devons décider lequel tuer sur un principe juste. Y et Z ont besoin de nouveaux organes. A est un individu en bonne santé qui pourra fournir des organes. Si on ne tue pas A et si Y et Z meurent, alors nous aurons tué Y et Z. La situation résultante est que nous avons tué des individus. Refuser de tuer franchement A et tuer Y et Z uniquement parce qu’ils ont eu la malchance d’avoir des organes malades n’est pas juste pour Y et Z. Nous devons décider de tuer A, Y ou Z sur un fondement juste. Donc nous ne devons pas refuser de tuer A.
John Harris propose un tirage au sort pour la survie. Parmi les personnes en bonne santé, un numéro serait attribué. Un ordinateur tirerait un numéro au hasard. Le 'gagnant' serait alors mis à mort et ses organes seraient prélevés pour sauver le plus d’individus possibles. La participation à la loterie ne se ferait pas sur la base du volontariat, mais sur le principe de la conscription militaire.
II) 'Demain, la Greffe' souhaite que le législateur développe les prélèvements à cœur arrêté réintroduits discrètement en 2005. En effet, les pionniers de la transplantation rénale effectuèrent dans les années 50 les premiers prélèvements 'à cœur arrêté'. Ces pionniers allaient dans la cour de la Santé lorsque quelqu’un était guillotiné se ruer sur le corps et prélever les reins à des fins de transplantation, et, comme on préfère greffer le rein gauche parce que la veine est plus longue, l’équipe de la Pitié et celle de Saint-Louis tiraient aux cartes dans l’ambulance qui les menait à l’exécution le côté qu’ils devraient greffer.
En 1968, on a introduit la fiction de la mort cérébrale pour prélever des organes : il n’y avait pas besoin d’attendre l’arrêt cardiaque pour déclarer une personne décédée. Maintenant on ne sait plus très bien si la mort du cerveau précède l’arrêt du cœur ou si l’arrêt du cœur précède la mort du cerveau. Si ces deux moments sont concomitants, pourquoi avoir redéfini la mort sur de nouveaux critères ?
En France, prélève-t-on des organes quand la vie a cessé ou quand la vie décline ? Prélève-t-on des organes sur une personne morte ou sur une personne mourante ?
'Dès lors que le seul arrêt cardiaque ne permet pas de caractériser la mort, comment et à quelles conditions s’assurer que la personne est bien décédée ?', se demande ainsi le Conseil d’État dans son étude préparatoire à la révision de la loi de bioéthique.
'L’arrêt des manœuvres peut être à la fois l’action par laquelle on laisse advenir le décès et en même temps l’action par laquelle on le constate', s’interroge Jean-Yves Nau dans 'Des risques liés aux prélèvements à cœur arrêté', Revue médicale suisse, 23 et 30 avril 2008.
Mais 'Demain, la Greffe' va plus loin : ce think-tank réclame l’extension des procédures de prélèvements à la suite d’un arrêt des thérapeutiques actives, en clair sur des patients de la catégorie III de Maastricht.
Or la possibilité de pratiquer ce type de prélèvements pose de sérieuses questions éthiques concernant les critères de la définition de la mort et l’information des familles. Ce protocole permet de précipiter en toute connaissance de cause le décès de la personne, ce qui équivaut à pratiquer un acte euthanasique sans le dire.
La remarque de Hans Jonas à propos de la mort encéphalique est tout aussi valable pour ce protocole : le patient doit avoir la certitude que le médecin ne deviendra jamais son 'bourreau' dans cet état 'nouvellement qualifié de mort, dénommé autrefois vie pendant des millénaires'.
L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a souhaité exclure du don les personnes décédées après retrait des thérapeutiques actives en réanimation. Le Conseil d’État a précisé que les patients relevant de la catégorie III ne peuvent faire l’objet d’un prélèvement d’organe, même dans l’hypothèse où ils auraient préalablement donné leur accord.
'Demain, la Greffe' s’offusque de ce choix qui ne permet pas d’augmenter le pool d’organes disponibles en faisant abstraction des enjeux éthiques.
'Tout ce qui est techniquement possible ne doit pas être éthiquement acceptable' (Lise Haddah)
III) Quant aux greffes rénales à partir de donneurs vivants, il est extrêmement difficile de faire coexister deux sources d’approvisionnement de greffons. La communication du Dr Christian Hiesse de l’hôpital Foch de Suresnes et membre de 'Demain, la Greffe' mériterait d’être entièrement citée. (Cf. 'Etats des lieux et réflexions en Europe' in 'Réflexions éthiques sur la pénurie d’organes en Europe', sous la direction d’Yvanie Caillé et Michel Doucin).
Je ferai deux courtes citations :
'On peut enfin se poser à juste titre le problème de la conséquence de ce phénomène, l’activité croissante de greffe de donneur vivant pouvant devenir un facteur contribuant à entraver le prélèvement sur personne décédée.' (p. 200)
'Le développement de la greffe rénale à partir de donneur vivant ne doit pas tirer sa justification principale de la pénurie d’organes, mais aussi de l’évidence qu’elle offre de nombreux avantages : meilleurs résultats en terme de longévité et de qualité de vie, possibilité de programmer la greffe dans les meilleures conditions et notamment avant la dialyse, et peut-être un moindre coût par rapport à la greffe de donneur décédé.' (p. 201)
De plus, la France a une histoire singulière avec les dons à partir de donneurs familiaux. Elle a axé volontairement sa politique sur le recours aux prélèvements sur les personnes en état de mort cérébrale au détriment du don entre vivants.
Pourtant entre 1954 et 1958, sept transplantations entre jumeaux identiques ont été réalisées dans le monde avec succès. En septembre 1963, dans le monde, on comptait 22 greffes avec donneurs vivants non apparentés et 30 greffes avec donneurs consentants (vivants ou non) soit 22 pour cent du nombre total de greffes effectuées.
A l’époque, toutes les études montraient le succès des donneurs familiaux et les piètres résultats obtenus avec un rein cadavérique (25 pour cent de survie à 6 mois) ou rein de vivant non apparenté (17 pour cent de survie à 6 mois en 1965).
Pourquoi avoir abandonné le don entre vivants ?
Je réfute d’emblée l’argument consistant à dire que les résultats sont meilleurs de nos jours. En effet, ce n’est pas seulement la technique de l’opération qui améliore sensiblement le taux de survie, c’est la mise au point de médicaments antirejet. Or la cyclosporine apparaîtra vers 1980.
'Demain, la Greffe' dénonce le choix du 'tout dialyse' qui enrichit une certaine industrie, mais que dire du choix 'tout greffe' qui enrichit les laboratoires pharmaceutiques puisqu’un patient greffé reste un malade qui doit prendre quotidiennement et à vie des médicaments antirejet ?
'Novartis SA (NYSE : NVS) est un leader mondial dans le domaine des produits pharmaceutiques et de consumer health. En 2003, le Groupe Novartis a réalisé un chiffre d’affaires de USD 24,9 milliards et un résultat net de USD 5,0 milliards.'
Novartis entretient des relations régulières avec France Adot. 'Nous touchons la société civile par de multiples biais. Historiquement, nous sommes de longue date engagés dans le domaine de la greffe. Novartis est le découvreur de la première molécule antirejet, la Ciclosporine, mise à disposition du corps médical en 1984. Ce produit a permis de diminuer substantiellement le rejet des greffes et a totalement transformé le paysage de la transplantation d’organes. Plus de vingt ans plus tard, nous sommes toujours présents et fortement impliqués dans le domaine de la greffe. Nous sommes en contact avec tous les leaders d’opinion et tous les acteurs du corps médical impliqués dans la greffe : autorités de santé, médecins, infirmières, équipes de coordination, etc.'
'Nous cherchons à développer notre impact auprès de la société civile par l’intermédiaire de notre site Internet (www. transplantation.net) et des associations de patients. Nous avons décidé de soutenir financièrement la Fondation Greffe de Vie, qui est complémentaire à toutes les actions que nous entreprenons. Novartis soutient financièrement de façon régulière plusieurs associations de patients comme Trans-forme, Trans-Hépat ou encore la FNAIR [association défendant les intérêts des patients en attente de greffe de rein, soit les 2/3 des 15.000 patients en attente de greffe en 2009-2010 en France, source : Agence de la biomédecine, Ndlr.], à l’occasion d’actions de sensibilisation du grand public comme la Semaine du rein ou la course du cœur, organisées chaque année. Enfin, notre site web fait la promotion du don d’organe, nous permet d’informer le grand public et de rassurer les greffés potentiels et leur famille.' (Cf. Novartis, Elisabeth Dufour, Directeur Marketing du pôle Immunologie et transplantation.)
Pourquoi les pionniers de la transplantation ont-ils abandonné le don entre vivants ?
Parce que quand on a des rêves de gloire, de Prix Nobel, quand on veut être le premier à réaliser, mais pas forcément le premier à réussir, quand l’hybris médicale l’emporte sur la prudence morale, proposer une greffe de rein à un patient uniquement s’il a un jumeau n’a rien d’exaltant.
Quand on veut la gloire, il faut briser les tabous !
Ainsi, en France, les pionniers de la transplantation ne développèrent pas le don entre vivants. Ils préférèrent changer les critères de la mort le 24 avril 1968 dans une circulaire totalement passée inaperçue puisque non publiée au Journal Officiel ; ce qui permettra au Dr Cabrol de réaliser sa greffe de cœur dans la nuit du 26 au 27 avril 1968 sur la personne de Clovis Roblain qui décèdera 53 heures plus tard.
Ils préférèrent élaborer leur propre loi en instaurant le consentement présumé en décembre 1976. Cette loi devait mettre un terme à la pénurie d’organes et ainsi éviter d’avoir recours au don entre vivants.
En outre, la propagande s’est concentrée sur la culpabilisation de ceux qui ne donnent pas. 'Le refus de donner un organe constitue un meurtre par omission' (R. P. Boulogne).
La France a donc choisi sa voie. A présent, la pénurie demeure, inexorable.
Peut-on passer sous silence ces décennies marquées par un discours arrogant et fallacieux assimilant le non-donneur à un criminel ?
'Demain, la Greffe' formule dans le titre de son article une question rhétorique : 'la révision de la loi de bioéthique doit-elle servir à sauver des vies ?'
La révision de la loi de bioéthique peut servir à sauver des vies, mais elle ne doit pas servir à sauver des vies à n’importe quel prix, en sacrifiant la liberté individuelle !
La loi n’est au service de personne !
M. Jean-Claude Fages, un des membres de 'Demain, la Greffe', se demande si l’on ne peut pas 'concevoir l’exercice d’un droit d’ingérence au nom de ces morts annoncés, afin de mobiliser davantage le potentiel que représentent les cadavres porteurs d’organes sains ?' (p. 174, in 'Réflexions éthiques sur la pénurie d’organes en Europe', sous la direction d’Yvanie Caillé et Michel Doucin)
Décréter une législation exceptionnelle, proclamer l’état d’urgence, ne pas demander de se sacrifier, mais contraindre au sacrifice, telles sont les conséquences lorsque l’on se focalise sur un seul point de discussion : la pénurie d’organes !
Sous prétexte de 'pénurie', il faudrait renoncer à la libre disposition de son corps après la mort. Il faudrait abolir les Droits de l’Homme qui délimitent une sphère privée qui échappe au pouvoir de l’état.
Dans son Traité de droit romain Savigny, juriste allemand du XIXe siècle, rappelle, que l’homme est pris dans trois cercles concentriques : extérieur, médian et intime. Le cercle extérieur c’est la sphère publique, de l’État, qui relève du droit. Le cercle médian c’est la famille, dans laquelle la normativité se partage entre éthique et droit. Enfin le cercle intérieur c’est le moi, domaine de l’intime qui relève de la seule éthique et échappe au droit. Dans cette sphère il n’y a pas de droit car il n’y a pas d’autre.
L’intimité c’est aussi le lieu du corps qui, dit Hannah Arendt, nous protège du domaine public en ce qu’il est 'la seule chose que l’on ne puisse partager même si l’on y consent'. (Condition de l’homme moderne).
L’intrusion de l’Etat dans la sphère privée est une agression insoutenable. Le premier commandement de la santé des jeunesses hitlériennes statuait que le corps de l’individu appartenait à l’Etat !
Le droit français a déjà été suffisamment déstabilisé dans ses fondements, n’étant plus capable de discerner une personne d’une chose.
Quand nous avons découvert sur la personne de notre fils Christophe le prélèvement des yeux et leur remplacement par des globes oculaires artificiels dans le compte-rendu opératoire des médecins préleveurs d’Amiens, nous avons porté plainte le 19 mai 1992 contre X pour vol et violation de sépulture, nous nous attendions à ce que la justice prenne notre plainte au sérieux et qu’elle fasse un minimum d’investigations pour déterminer les responsabilités.
Or les magistrats d’Amiens, en rejetant notre plainte, ont plongé le corps de notre fils dans un néant juridique refusant de lui assurer une protection face aux agressions de la médecine techniciste.
Il est temps que les parlementaires cessent d’être les représentants des lobbies comme ce fut le cas lors du vote de la loi Caillavet en 1976 et qu’ils fabriquent des lois en harmonie avec les principes constitutionnels garantissant la liberté individuelle."
Alain Tesnière, père de Christophe, dépecé à Amiens le 5 août 1991.
Source :