Plus de 5 000 personnes souffrent d’insuffisance rénale au Sénégal. Pour soigner cette maladie dont deux des principales causes sont le diabète et l’hypertension, il faut du temps et de l’argent.
Les pieds et les mains de Boubacar ont commencé à enfler, il y a juste 8 mois. Il n’a pas voulu en parler à son médecin, pensant que c’était lié à son diabète. Mais lorsque les vomissements et les étourdissements s’en sont mêlés, il a pris contact avec son médecin. Deux semaines plus tard, tests et examens à l’appui, son médecin lui apprend qu’il souffre d’une insuffisance rénale aiguë. Boubacar a vu le monde s’effondrer sous ses pieds, lorsque son toubib lui a annoncé qu’il aura besoin de dialyse pour rester en vie. À moins qu’il ait les moyens d’aller faire une transplantation rénale ailleurs. 5ooo personnes en souffrent au Sénégal et la maladie semble encore méconnue.
Il existe deux types d’insuffisance rénale, dont l’insuffisance rénale aiguë (Ira) et l’insuffisance rénale chronique (Irc).
L’Ira se caractérise par la diminution brutale du débit de filtration glomérulaire entraînant une rétention azotée et des perturbations hydro-électrolytiques. L’Ira, le plus criant, est souvent noté chez la femme qui accouche, quand celle-ci perd beaucoup de sang et a les reins bloqués. Elle n’urine pas et son corps montre un gonflement, surtout en certains endroits. "Si elle vient tôt, la guérison est possible. Dans le cas contraire, c’est une des causes de la mortalité maternelle", dit le Docteur Boubacar Diouf, néphrologue à l’Hôpital Aristide Le Dantec (Hald).
D’après lui, 60 % des cas d’Ira que l’hôpital Aristide Le Dantec (HALD) reçoit sont des femmes et avec un état issu d’un accouchement.
L’Irc est, elle, un syndrome défini par la baisse du débit de filtration glomérulaire comportant, également, des anomalies hydro-électrolytiques et endocriniennes. Elle est en rapport avec une réduction permanente et définitive du nombre de néphrons fonctionnels (ce qui la différencie de l’insuffisance rénale aiguë ou fonctionnelle). Elle se caractérise aussi par l’insuffisance excrétoire qui aboutit à la rétention de substances normalement éliminées dans l’urine. Quand le malade est atteint de l’Irc, il se fatigue vite, il ne mange pas, ne dors pas et a parfois des troubles de comportements (délires, tremblements, etc).
L’hémodialyse, une technique sûre, mais coûteuse
Selon le néphrologue : “ il y a plusieurs causes dans la survenue de l’insuffisance rénale. Mais, les plus fréquentes sont : le diabète et l’hypertension artérielle. Les cas d’insuffisance rénale, les plus fréquemment traités à HALD, sont aussi liés au diabète et à l’hypertension artérielle. Le malade ne sent pas les signes et quand ils voient le jour, la maladie est déjà très avancée avec la destruction progressive des néphrons. Il est même trop tard pour sauver quoique ce soit...
"Il y a donc une nécessité pour tout sénégalais de faire un bilan de santé chaque année", ajoute Dr Diouf. La bonne connaissance de l’insuffisance rénale chronique, de son évolution et de sa prise en charge sont donc nécessaires pour établir au mieux les indications thérapeutiques. Il arrive que l’Irc perturbe l’ensemble des organes et tissus, parce que chacun de ces éléments est plus ou moins marqué pour un malade donné. En phase terminale, à partir du moment où le rein ne fait plus face aux besoins de l’organisme, l’hémodialyse, la dialyse péritonéale et/ou la transplantation de rein sont les trois possibilités qui peuvent permettre d’avoir un gain de survie. Chez l’adulte, le traitement par dialyse doit débuter dès l’apparition des premières manifestations cliniques.
Au Sénégal, la transplantation rénale est un traitement de choix pour l’insuffisance rénale, mais malheureusement, notre pays ne compte pas encore ni centre de transplantation, ni banque d’organes. La dialyse est donc une alternative plus accessible aux insuffisants rénaux. Selon le médecin de l’Hald , “ la transplantation de rein est la technique la plus séduisante. Mais, le risque ici, c’est que le malade doit utiliser des médicaments immunosuppresseurs qui peuvent parfois entraîner voire faire survenir des infections virales ou leur préparer le terrain ”
La dialyse péritonéale, une alternative pour l’autonomie
La dialyse péritonéale a débuté à Le Dantec en mars 2004. C’est un processus qui permet d’avoir constamment un dialysat dans la cavité péritonéale. Avec ce traitement, le sang est purifié à l’intérieur du corps plutôt que dans un appareil et ce, sans interruption. Selon le docteur Diouf : “ c’est un traitement qui exige du temps et il faut créer un environnement favorable ”. Le dialysat doit être changé à intervalles réguliers au cours de la journée. Grâce à ce processus, le malade peut effectuer sa dialyse à la maison tout en restant branché à l’appareil pendant 8 à 10 heures.
La dialyse péritonéale dure en moyenne 4 h par séance. À l’Hôpital Aristide Le Dantec, les infirmières qui soignent en dialyse péritonéale ont été formées sur le tas et ont fait 6 mois de stage en France. Ndeytou Seck a 42 ans et vit à Saint-Louis. Elle fait la dialyse péritonéale. “ Je me sens beaucoup mieux, maintenant que j’ai commencé à faire le traitement. Surtout que je ne suis plus obligée de venir tous les jours à Dakar pour faire le traitement. Je m’en sors bien ”. Cependant, le risque pour la dialyse péritonéale, c’est qu’elle entraîne des complications infectieuses chez le malade.
La dialyse (voir encadré) ne guérit pas l’insuffisance rénale. Avec ce traitement, le malade peut survivre en menant une existence dite “ normale ”. Mais de nombreuses complications peuvent apparaître à plus ou moins long terme.
Mais, ce ne sont pas là, les seules difficultés avec lesquelles sont confrontées les personnes qui souffrent de ce mal. Le traitement de l’Irc coûte très cher. En effet, dans les structures hospitalières privées, une seule séance d’hémodialyse de 4 heures coûte 100 000 F Cfa, voire plus. Il faut donc entre 200 000 et 300 000 F Cfa par... semaine à un insuffisant rénal chronique pour espérer vivre normalement. Très rares sont les patients qui ont les moyens de se payer les indispensables et fort coûteuses séances d’épuration artificielle du sang. À cela s’ajoute le coût exorbitant des médicaments qu’il faut prendre à vie. Le minimum tourne autour de 15 000 F Cfa par mois. “ Et cela peut aller beaucoup plus, si on y ajoute les médicaments contre l’anémie, car tous ceux qui souffrent d’Irc sont anémiés ”, ajoute le Dr Diouf.
Certains médicaments sont nécessaires pour tenter d’améliorer l’état des malades. Par exemple : l’anémie est corrigée par des injections spéciales ; les carences en calcium et en vitamines sont réglées par des compléments adaptés ; l’hypertension est combattue par des anti-hypertenseurs, etc.
Un mal onéreux ou coûteux
Donc le traitement d’une insuffisance, quelle qu’elle soit, n’est pas à la portée de toutes les bourses. À l’Hôpital Aristide Le Dantec, où officie le Dr Diouf, les séances de dialyse sont chères pour un père de famille. Elles tournent autour de 80 000 F Cfa chacune. Avec la subvention, les malades payent 50 000 F Cfa par séance et à vie. Le malade doit le subir 2 à 3 fois par semaine pour l’Irc. Les fonctionnaires de l’Etat sont les plus privilégiés dans le traitement de cette maladie. Ils payent seulement 10 000 F CFA, soit le 1/5ème et l’Etat complète les 4/5. Par contre, note Dr Diouf, la prise en charge de l’Ira n’est pas cher. Il faut au minimum 2 000 à 3 000 F Cfa par séance.
Mamour Fall est, lui, dialysé depuis 5 ans. Il témoigne : “ j’ai remarqué ma maladie en décembre 1999. J’avais fait 9 jours dans le coma et j’avais des problèmes de vision. Financièrement, je suis fatigué, parce que je n’ai pas de prise en charge. Mais depuis que je suis le traitement, je me sens beaucoup mieux ”. Pour ce chimiste à la retraite, psychologiquement, c’est dur de subir une dialyse pendant toute une vie. "Dès l’instant que les gens te voient manger et parler, ils pensent que tu es guéri. Mais ce n’est pas cela. Pour m’en sortir, j’ai suivi des cours pour me prendre en charge et suivre les interdits alimentaires comme les arachides, dattes, etc. ”, ajoute-t-il le regard lointain et teinté d’un sourire d’espoir.
Ndèytou a, elle, perdu son travail à cause de sa maladie. Dialysée depuis près de 2 ans, elle se dit “ financièrement éreintée et est au chômage depuis 3 ans à cause de sa maladie".
Manque chronique de spécialistes
Selon le Dr Diouf : “ il arrive que le malade ne puisse pas payer ses séances d’hémodialyse. Alors, il les laisse faire gratuitement le traitement. À Aristide Le Dantec, 30 malades souffrent actuellement, d’insuffisance rénale. Il y a seulement 7 unités de dialyse, dont 6 qui fonctionnent. “ Nous les branchons à 6 patients le matin et à 6 autres le soir, ce qui fait 12 patients pris en charge par jour", explique le toubib.
Au Sénégal, il y a seulement 3 néphrologues pour 5 000 malades de rein. Les 3 néphrologues, assistés de 5 infirmières, travaillent tous à l’Hôpital Aristide Le Dantec de Dakar. Certes, cette année, 4 sont en formation et inscrits en 1ère année. Dans 4 ans, ils seront alors 9 néphrologues. Mais ce nombre est toujours insuffisant face à la demande qui s’accroît chaque année. “ Nous recevons au moins 120 nouveaux cas par an ”, précise le néphrologue. Cependant, l’Hald ne dispose pas encore de structures adaptées à la prise en charge, au traitement de l’Irc de l’enfance, alors que la demande est là aussi.
“ Dans cette spécialisation, il y a beaucoup de demandes et d’inscriptions, mais les étrangers sont plus nombreux que les Sénégalais ”, affirme le médecin. Pour pallier ce manque, ajoute le néphrologue, " notre objectif est désormais d’en recruter 8, chaque année, pour les avoir dans tous les hôpitaux". Selon le spécialiste : “ les Sénégalais ont des difficultés financières pour se spécialiser dans un domaine médical donné. "Ce n’est pas attrayant pour le Sénégalais de faire la spécialisation, surtout, avec une bourse de 60 000 F CFA par mois", avance Dr Diouf.
La dialyse ou l’épuration par rein artificiel
La dialyse est un traitement pour les personnes atteintes de l’Irc (Insuffisance rénale chronique) avancée. C’est un appareillage qui permet d’épurer le sang et d’ éliminer les déchets et l’excès d’eau dans l’organisme.
Ce travail est normalement effectué par les reins lorsqu’ils sont en bon état. La dialyse peut être temporaire, mais quand les reins ne fonctionnent plus de façon permanente, le malade a recours à la dialyse à intervalles réguliers, avec comme possibilités, selon les cas : l’hémodialyse et la dialyse péritonéale.
L’hémodialyse est la purification du sang à travers un rein artificiel. Le sang circule à travers un appareil qui comprend un dialyseur (ou "rein artificiel").
Le dialyseur a deux compartiments, séparés par une mince membrane. Le sang passe d’un côté de la membrane et un liquide spécial ou dialysat passe de l’autre. Les déchets et le surplus d’eau passent, à travers la membrane, du sang au dialysat, qui est ensuite jeté. Le sang épuré est ensuite réintroduit dans le système circulatoire. L’objectif de l’hémodialyse est de débarrasser le sang des impuretés et du fluide en excès qu’il contient, et de le complémenter en certains minéraux dont le taux peut être abaissé.
Au Sénégal, de nombreuses personnes diabétiques, en phase terminale ou atteintes de maladies chroniques du rein, sont condamnées à suivre la dure épreuve hebdomadaire d’hémodialyse. Un traitement est indispensable à la survie du malade. Le malade doit ainsi suivre 2 à 3 séances par semaine.
Chaque séance dure en moyenne 4 heures, 4 heures durant lesquelles le patient est obligé de rester branché à la machine. Il ne fait rien d’autre qu’attendre que l’appareil termine sa longue et vitale opération. Chaque semaine, la personne qui souffre d’une insuffisance rénale, si elle veut vivre, doit nécessairement consacrer 8 à 12 heures de son temps à ce processus. C’est la raison pour laquelle, malades et médecins disent que "cette maladie est fort handicapante" pour le père de famille qui ne peut courir derrière la dépense quotidienne, car obligé de faire sa séance. La technique la plus utilisée, à l’Hald, est l’hémodialyse. Elle existe depuis longtemps et c’est la technique la plus sûre, selon le Dr Diouf. Mais son inconvénient, c’est qu’elle demande du temps...
L’insuffisance d’unités, un frein à la prise en charge
Les pannes sont les pires ennemies des unités d’hémodialyse. Les techniciens locaux, capables d’assurer un entretien professionnel, se comptent sur les doigts d’une main. Alors que le Service de néphrologie de l’hôpital Aristide Le Dantec reçoit jusqu’à 15 malades par jour. D’où les difficultés qui se posent aux insuffisants rénaux et même aux néprhologues. Il arrive parfois que des insuffisants rénaux aigus, qui ont besoin d’être pris en charge de toute urgence, soient obligés de prendre leur mal en patience, mettant ainsi leur vie en péril.
Ceci, parce que tout simplement, une unité est en panne et celles qui fonctionnent sont toutes occupées. Les unités d’hémodialyse sont des appareils forts coûteux et sensibles, mais indispensables à la vie de centaines de personnes souffrant de maladie de rein au Sénégal.
El Hadj Fall, est technicien d’unité de dialyse. Nous l’avons trouvé en train de réparer la 7ème unité de dialyse dans une des salles de Le Dantec. El Hadj travaille pour une société étrangère, installée au Sénégal depuis les années 50. Dans les années 80, les machines avaient été installées. Il a commencé à travailler à Le Dantec depuis 2000.
« Cette unité a un problème de pression positive. Nous sécurisons la machine avant de la brancher aux malades. Nous contrôlons les organes de l’appareil », témoigne-t-il. Il explique que « l’unité de dialyse est un appareil qui permet de préparer le bain de dialyse à partir de l’acide de dialyse et du bicarbonate. Les proportions doivent être bien définies afin que la machine fasse un auto-test. La machine surveille l’échange qui se fait entre le bain de dialyse et le sang du malade (dialyse). Elle fait un auto-test d’une vingtaine de minutes avant d’être branchée au malade ».
Selon El Hadj Fall, les pannes les plus fréquentes de l’unité de dialyse sont celles dues aux dépôts calcaires de l’eau. Il y a une unité de traitement d’eau au sein de Le Dantec. L’eau est filtrée, adoucie par l’extirpation du calcaire et grâce à l’osmose, elle subit une épuration quasi-totale.
Selon le technicien, la durée de vie d’une unité de dialyse dépend de la fréquence d’utilisation (10 ans au minimum). Une machine de ce genre peut coûter environ 10 millions de francs Cfa. Celles qui coûtent plus ont plusieurs fonctions. « Les pannes sont fréquentes. On ne peut pas faire 2 semaines sans tomber en panne », ajoute t-il. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’Ambassade d’Israël à Dakar a offert, en 2004, des unités d’hémodialyse à l’Hôpital Principal de Dakar. Chaque période déterminée, un technicien israélien vient à Dakar pour la maintenance de ces unités.
Les néphrologues de l’Hald sont, aussi, confrontés à l’insuffisance chronique des unités de dialyse. Selon le Dr Diouf, « le parc qui existe depuis 1984 est insuffisant. Alors que le Mali et la Mauritanie, des pays qui ont commencé récemment, disposent respectivement de 15 et 20 unités de dialyse". Un dossier transmis au ministère de tutelle est en instance. Les responsables de l’unité d’hémodialyse de l’Hald attendent toujours la réaction des autorités, qui ont toutefois montré un engagement politique pour trouver une solution. Mais les lenteurs administratives retardent la validation du dossier pour que cela avance », soutient le néphrologue de l’Hald.
Source :
Le Soleil : Quotidien Sénégalais d'information générale.
Reportage de SIKIRATOU AHOUANSOU
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire