Tribune mensuelle - Mars 2009, par le Professeur Claude Huriet, Sénateur honoraire, Membre du Comité international de bioéthique de l'UNESCO
"Voici quelques années, participant à un atelier de bioéthique dans un collège de Nancy, j'ai vécu un moment dramatique. Une jeune fille s'exprimant lors de cet atelier avait fait part à ses compagnes des conditions de sa naissance qu’elle avait apprises récemment : elle avait été conçue par insémination artificielle 'avec tiers donneur'. Celui qu’elle prenait pour son père n’était pas son père ! Elle exprima sa rancœur à l'égard de sa mère et son mépris pour 'son père'. Sa vie en a été définitivement gâchée.
Récemment, dans un ouvrage intitulé 'L'embryon sur le divan' (1), le docteur Benoît Bayle, pédopsychiatre, rapporte des observations cliniques faisant apparaître les drames vécus par des embryons devenus hommes, puisque telle est leur destinée normale. Ils sont marqués tout au long de leur vie par les conditions dans lesquelles ils ont été conçus. Tel est le cas, par exemple, de 'l'enfant de remplacement' conçu après la mort d’un frère aîné. Tel est aussi le cas, suite au choix qu’imposent les embryons surnuméraires, du 'syndrome du survivant conceptionnel' qui peut revêtir deux formes cliniques : la toute-puissance 'j'ai survécu aux 10 autres et je suis plus fort qu'eux', ou la culpabilité 'je ne mérite pas d'être en vie les autres étaient plus dignes que moi'.
Face à de telles situations qui ne sont pas exceptionnelles, force est de constater que les lois dites de bioéthique, celle de 1994 comme celle de 2004, font très peu référence à l'enfant, si ce n'est à travers des interdictions, ou des dispositions 'préventives'. 'Est interdite toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une personne vivante ou décédée' (Art. 16-4 du Code Civil). D'autres dispositions encadrent des techniques de dépistage, diagnostic prénatal, diagnostic préimplantatoire, visant à éviter la naissance d'enfants atteints 'd'une affection d'une particulière gravité'. Référence est faite à l'enfant, dans les dispositions concernant l'assistance médicale à la procréation – l‘AMP – ( Art. L.2141-2 du Code de la Santé publique). 'L'assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité [d’un couple] dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué' ou, nouvelle indication préventive, 'd'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d’une maladie d'une particulière gravité'. De même, la mise en œuvre de l’AMP avec un tiers, donneur de sperme, est autorisée 'lorsqu'il existe un risque de transmission d'une maladie d'une particulière gravité à l'enfant ou à un membre du couple' (Art. L .2141-4).
A vrai dire, on voit mal comment il pouvait en être autrement. En effet ayant ouvert, en 1978, 'la boîte de Pandore' à la naissance de Louise Brown, premier 'bébé éprouvette', il était légitime qu'on tentât, après coup, d'en limiter les méfaits et d'en définir le bon usage. Ce qui frappe, c’est que l'on a vu apparaître au fil du temps et du fait de 'progrès techniques', un nouveau droit, une nouvelle exigence : le droit à l'enfant, la revendication d'un 'enfant parfait', d'un enfant zéro défaut.
Lorsque le droit à l'enfant s'exprime à travers la demande d’un couple d’accéder à l'AMP pour remédier à une infertilité, on ne peut y souscrire que si le couple offre les meilleures chances à l'enfant désiré. C'est à ce propos que se posent des questions difficiles de la définition du couple. Les dispositions actuelles sont précises : 'l'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d'au moins deux ans'. On le sait : chacune de ces conditions va être débattue dans la perspective de la révision de la loi : accès à l’AMP des couples homosexuels, veuves et transferts d'embryon post-mortem, femmes ménopausées, etc. sans prendre en considération, on peut le craindre, le devenir de l'enfant à naître...
Prenons aussi l'exemple de la grossesse pour autrui. Qui peut croire qu'un enfant, en âge de comprendre, sera indifférent au fait que, les premiers mois de sa vie, il les aura vécus dans le ventre d'une femme, connue ou inconnue qui n'était pas 'sa' mère ?
La revendication de 'l'enfant zéro défaut' n’a pas attendu le diagnostic préimplantatoire qui est sensé permettre d’écarter les embryons atteints d’anomalies. Elle s’est manifestée dès l’apparition des techniques d’imagerie fœtale. Elles permettent en effet de détecter des anomalies morphologiques qui, sans être 'd'une particulière gravité' choquent les futurs parents, les culpabilisent et mettent en cause leur acceptation ou leur refus de poursuivre la grossesse.
On le constate désormais : le droit à l'enfant, la revendication de l'enfant parfait ont des conséquences sur l'attitude de la société vis-à-vis des couples stériles et, plus grave encore, vis-à-vis des êtres 'non conformes à la norme'. Cette attitude d'incompréhension, alimentée parfois par des considérations sous le coût du handicap pour la société, porte en germe l'intolérance et le rejet.
On doit souhaiter et tout faire pour que, lors des Etats Généraux sur la bioéthique et à l'occasion des débats parlementaires, 'l'enfant à naître' trouve une place qui jusqu'à présent lui a été refusée."
(1) Masson, Paris, 2003
Source :
http://www.genethique.org
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