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Greffe partielle, greffe totale : "assembler les morceaux de l'homme nouveau"

Laurent Lantieri, chef du service de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique de l'hôpital Henri-Mondor de Créteil

"Assembler les morceaux de l'homme nouveau"

Une greffe partielle de la face a eu lieu à Lyon. Saurons-nous bientôt réaliser une greffe totale ?


"Il n'y a pas de différence technique entre une greffe partielle ou totale. Nous sommes donc aptes à la mener. Les Américains et les Anglais orientent leurs recherches sur une telle greffe pour les grands brûlés, mais c'est pour l'heure un fantasme. C'est anatomiquement impossible car la peau est vascularisée par des vaisseaux qui passent dans les muscles. Une greffe totale ne serait possible que dans des cas très exceptionnels de carbonisation, lorsque peau et muscles sont détruits. Mais, s'il y avait rejet, ce serait alors dramatique, car il faudrait enlever toute la face reconstruite".

Les greffes d'organes externes vont-elles se généraliser ?

"Il faut avancer avec prudence, même si on peut techniquement le faire. Après la première greffe du coeur en 1967, une centaine ont été réalisées l'année suivante, puis seulement dix en 1970. Pourquoi cette baisse ? La plupart des patients opérés étaient morts. Pour la main, on observe le même ralentissement. En 1998, une greffe est réalisée, puis l'homme est amputé. L'année suivante, une autre a lieu aux Etats-Unis et deux en Chine. En 2000, ce sont les premières greffes des deux mains. En 2001, 2002, 2003, on continue, mais depuis 2004, autant qu'on le sache, il n'y en a pas eu dans le monde. Les greffes se généraliseront quand nous maîtriserons mieux le rejet et la conservation des greffons.

Les traitements antirejets sont très lourds. Quels progrès peut-on attendre d'ici à 2020 ou 2030 ?

A court terme, ces progrès viennent des nouveaux traitements agissant directement sur les lymphocytes, c'est-à-dire les porteurs de l'immunité. Plus efficaces et moins nocifs, ils entraînent malgré tout une augmentation des risques de cancer et de maladies infectieuses. On peut donc s'interroger : la qualité de vie obtenue compense-t-elle ces risques ? La situation aura sûrement changé d'ici vingt ans. En supprimant la moelle du receveur pour lui substituer celle du donneur, nous pourrions faire tolérer des greffes d'organes. Un protocole existe aux Etats-Unis pour des greffes de rein, mais il est extrêmement toxique. Nous travaillons, à titre expérimental, sur des greffes de cellules souches hématopoïétiques : la moelle du donneur est greffée sur le receveur pour que celui-ci devienne immuno-tolérant. Le receveur a donc deux moelles, la sienne et celle du donneur. Cela marche pour l'instant chez la souris et le lapin, mais rien ne dit que cela sera applicable chez l'homme.

Peut-on traiter le greffon pour favoriser son acceptation ?

Aujourd'hui, les greffes se font dans l'urgence, immédiatement après prélèvement d'un greffon sur un individu qui vient de mourir. Si l'on arrivait à le cryo-conserver - le congeler comme les embryons, les cellules, les vaisseaux - pour le traiter en lui instillant les cellules du receveur, on disposerait alors d'un stock de tissus qui pourraient être greffés. La recherche n'est pas encore très développée mais il y a un grand avenir.

Quand grefferons-nous une peau artificielle ?

La peau est un composé très complexe avec l'épiderme, le derme, de la graisse, du poil, une épaisseur, une couleur différente selon l'endroit du corps. Du fait de cette complexité, on cherche plutôt à utiliser du tissu vivant qu'à le fabriquer artificiellement. Pour les brûlés par exemple, depuis les années 1980, on gonfle un ballon sous la peau, de façon à l'étirer et générer un tissu que l'on greffera.

A quand un homme avec une main ou un bras totalement artificiels ?

La science-fiction a fantasmé sur le sujet, mais je ne crois pas à un homme bionique. La possibilité d'une telle interface est extrêmement lointaine, même si des chercheurs se sont penchés dessus. Par contre, je crois que la reconstruction par les propres tissus du patient a un énorme avenir, quitte à ce qu'elle soit aidée avec des tissus artificiels, quitte à ce que ces tissus artificiels soient habités par les cellules du patient.

La science-fiction n'avait pas imaginé que l'on pourrait faire repousser des tissus ou cloner non pas un individu, mais une partie de son corps ou une structure.

Des opposants ont révélé que la Chine prélevait des organes sur les condamnés à mort afin de les greffer. Dans un pays n'ayant pas notre éthique, les donneurs ne pourraient-ils pas être 'préparés' à être compatibles, en leur injectant la moelle d'un receveur ?

Cela fait froid dans le dos, mais ce qui se passe en Chine permet de penser qu'il est possible qu'un pays s'oriente dans cette voie. Techniquement, on peut concevoir un 'conditionnement' du donneur pour que ses cellules soient ensuite compatibles avec le receveur. Toutefois, le donneur ne serait 'prêt' que pour une seule personne... Il y a moins de deux ans, les Chinois ont transplanté du cuir chevelu et deux oreilles - prélevés sur un cadavre - sur un patient censé souffrir d'un mélanome du cuir chevelu. En France, nous n'aurions jamais fait cette greffe, du fait des risques encourus. Pour moi, c'est de la chirurgie expérimentale humaine.

Les Chinois sont-ils en avance ?

Pour l'heure, non. La révolution culturelle a lessivé une partie de leur recherche. Mais ils avancent très vite. Si la question est : 'Est-ce que l'éthique freine la recherche ?', probablement oui, mais ce n'est pas important d'avancer plus vite si c'est pour aboutir à l'exploitation humaine.

Quels sont les problèmes éthiques à venir ?

Les greffes de face posent un nouveau problème : on prélève une part de la face d'un cadavre, et cela peut perturber le deuil des familles, d'où, à mon sens, la nécessité d'un consentement explicite des familles. Il manque probablement une instance internationale pour la science qui réunirait des scientifiques de tous pays pour réfléchir sur les implications éthiques de la recherche.

Peut-on imaginer que se généralisent des greffes animal-homme ?

Ces greffes sont désormais proscrites en Europe et, que je sache, aux Etats-Unis. Le Comité national d'éthique a recommandé une grande prudence concernant ces recherches, appelées xénotransplantations, car il y a un risque de transmettre des maladies de l'espèce animale à l'espèce humaine.

La société est-elle prête à accepter un corps reconstruit ?

Les nouvelles générations jugent très naturelle la transplantation d'organes. Pour les adolescents d'aujourd'hui, le corps humain est composé de pièces potentiellement remplaçables.

Cela ne génère ni angoisses ni questionnement philosophique. Je regrette cependant que les philosophes se soient trop détachés de la science et de la médecine. Ils doivent nous aider à réfléchir aux nouvelles orientations de la société".

Propos recueillis par Raphaëlle Bacqué et Laure Belot

CHRONOLOGIE

1870. Le Suisse Jacques-Louis Reverdin réalise la première autogreffe de peau.
1887. Greffe de cornée par Von Hippel.
1952. Première transplantation d'organe, le rein, par Jean Hamburger à Paris. Le patient survit 21 jours.
1958. Première greffe de moelle osseuse à l'hôpital Curie à Paris.
1964. Premier échec d'une greffe d'un coeur animal sur l'homme aux Etats-Unis.
1967. Le Sud-Africain Christian Barnard réalise la première greffe cardiaque. Le receveur survit 18 jours.
1968. Première greffe de poumon réussie en Belgique. Le patient survit 9 mois.
1986. Première transplantation coeur-poumons-foie au Royaume-Uni.
1998. Le Français Jean-Michel Dubernard réalise la première greffe de la main.
2003. Première greffe de la langue à Vienne par Rolf Ewers.

© Le Monde

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