La phase "pilote" ou "expérimentale" d’une technique nouvelle de prélèvement d’organe dite "à cœur arrêté" a débuté en France. Une dizaine de centres de transplantation sont concernés, et la première transplantation utilisant cette technique a eu lieu le 21 octobre dernier, sans écho dans les médias.
Le prélèvement avec donneur en état de mort encéphalique
"Habituellement, le prélèvement d’organe se fait sur des personnes en état de mort encéphalique (il est prouvé que le cerveau est irrémédiablement détruit par des examens : électroencéphalogramme ou angiographie) mais dont le cœur bat et chez lequel une oxygénation pulmonaire est maintenue artificiellement (par un ventilateur). Dans une telle situation où le cœur de la personne décédée continue de battre de façon « réflexe » pour un temps, les organes restent irrigués avec du sang oxygéné et ne se détériorent pas, ce qui permet une transplantation efficace.
Les proches du défunt sont consultés avant le prélèvement : on leur explique le décès, ce qu’est la mort encéphalique, et on leur demande si la personne n’avait pas manifesté d’opposition de son vivant. Un délai "long" avant l’acte chirurgical de prélèvement est rendu possible par le fait que, si la personne est décédée, les organes (sauf le cerveau) restent physiologiquement fonctionnels quelques heures.
La loi exige dans ce contexte où le cœur continue de battre que le diagnostic de mort soit étayé par la preuve que le cerveau est détruit."
Le prélèvement avec donneur à "cœur arrêté"
"La technique dite 'cœur arrêté' (ou non battant) consiste à mettre en œuvre des moyens visant à éviter la détérioration des organes juste après le décès d’une personne... dont le cœur ne bat plus (ce qui est le cas de loin le plus fréquent). Trois étapes doivent se succéder rapidement.
Premièrement, constater – et donc affirmer – le décès : les battements cardiaques de la personne ne reprennent pas malgré les manœuvres de réanimation – dont le massage cardiaque. Cinq minutes d’absence d’activité cardiaque après une réanimation intensive dont la durée varie selon les circonstances (30 minutes environ) conduisent au diagnostic de mort de la personne. Notons que dans ce contexte, le diagnostic de la mort de la personne repose sur le fait que son cœur a cessé irréversiblement de battre, et qu’aucun examen complémentaire n’est requis.
Dès ce moment, commence la deuxième étape. Il faut immédiatement effectuer des gestes identiques à ceux de la réanimation : massage cardiaque et ventilation artificielle, non plus dans l’espoir d’une reprise de la vie, mais dans le but d’irriguer les organes avec du sang oxygéné – en vue de leur conservation physiologique en cas de prélèvement. Le corps de la personne, sur lequel on ne cesse de pratiquer ces manœuvres, est transporté rapidement à l’hôpital s’il ne s’y trouvait pas déjà au moment de son décès.
La troisième étape est alors initiée. Elle consiste soit à remplacer le sang de la personne par un liquide glacé pour permettre un refroidissement aux vertus conservatrices, soit à mettre en place un système d’assistance circulatoire (circulation extra-corporelle) qui permet de maintenir une circulation de sang oxygéné dans les organes. Il ne doit pas s’écouler plus d’une heure trente entre la mise en place de la troisième étape et le prélèvement en tant que tel."
Questions éthiques : l’Espace éthique / AP-HP initie une démarche de réflexion
"Les questions éthiques que soulève la technique de prélèvement à cœur arrêté sont nombreuses.
- En pratique, quand informe-t-on les proches de la personne de son décès ?
- Qui doit le faire ?
- Comment réfléchir l’accompagnement et l’information de ces personnes ?
- Doit-on veiller à recueillir leur témoignage avant ou après la mise en place des moyens de conservation (étapes 2 et 3) déployés sur le corps de la personne ?
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Quelles sont les conditions de respect du corps de la personne juste après son décès lorsque l’on pratique sur lui des gestes techniques de nature invasive ?-
Comment les réanimateurs vivent-ils la dualité de leur mission lorsqu’ils assurent par tous les moyens une circulation sanguine d’abord sur une personne à qui ils espèrent redonner vie, puis sur le corps de la même personne au moment même où ils renoncent à cet espoir ? -
Doit-on craindre la survenue de conflit d’intérêt à cet égard ? -
Est-on, collectivement, aujourd’hui bien au clair sur la définition même de la mort ? Quels sont les fondements d’une telle définition ? Sont-ils connus et admis de tous ? -
Quelles sont, d’un point de vue scientifique, les certitudes et les incertitudes au regard des effets de l’usage d’un dispositif de circulation extra-corporelle s’agissant de son utilisation thérapeutique dans les défaillances cardiocirculatoires réversibles ? - Quelles sont les différences à analyser entre la situation où le donneur potentiel décède dans la rue et celle où il s’agit d’une personne dont le décès survient alors qu’elle se trouve déjà en réanimation ?
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Comment envisager une pédagogie spécifique du grand public concernant le prélèvement à cœur arrêté, dès lors que la notion de consentement présumé (option retenue en France pour le don d’organe) suppose le préalable d’une information largement disponible et diffusée ?Cette liste de questions n’est pas exhaustive, et doit faire l’objet de développements et approfondissements. Un tel travail n’a pas encore été conduit en France de manière transversale et transparente. C’est pourquoi l’Espace éthique / AP-HP et le Département de recherche en éthique Paris-Sud 11 ont initié un travail en réseau sur ce sujet, associant de manière multidisciplinaire les compétences requises. Les professionnels de la réanimation et de la transplantation y occupent bien entendu une place fondamentale.
L’objectif de ce travail est de contribuer d’une manière efficace aux débats éthiques qu’impose le recours à cette technique de prélèvement,
dont chacun souhaite qu’il permette aux personnes malades de bénéficier plus facilement de transplantations d’organes. Il s’agit donc d’une réflexion éthique sur les pratiques qui entourent le prélèvement, et les modalités de mise en œuvre cohérente et respectueuse des principes affirmés à cet égard par notre société.
Il y va de l’acceptabilité de techniques tant par les professionnels que par le corps social."
Source :Dr Marc GuerrierAdjoint au directeur de l’Espace éthique / AP-HP
Département de recherche en éthique Paris-Sud 11
15 novembre 2006
http://www.espace-ethique.org