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LES ORGANES À GREFFER, UN MARCHÉ MONDIAL

"Vos reins nous intéressent"

"Rien qu’en Europe, 40 000 personnes attendent la transplantation d’un rein. La demande d’organes nourrit tout un marché noir. L’OMS réclame une législation internationale. En vain."

"Laudiceia Cristina da Silva eut une très mauvaise surprise lorsqu’elle consulta son médecin de famille : celui-ci lui apprit que l’un de ses reins avait disparu. Ce fut un choc pour cette jeune femme de São Paulo : avait-elle été victime de voleurs d’organes ? Ses soupçons se portèrent immédiatement sur un hôpital public où elle s’était fait opérer d’un kyste à l’abdomen. Interrogés par la police, les médecins de l’établissement donnèrent une explication surprenante : le kyste enveloppait le rein et l’organe avait été enlevé avec la tumeur – c’était tout simplement une erreur médicale idiote. Le rein de Laudiceia a très probablement été vendu au marché noir international des organes humains. Le vol et le trafic d’organes ont beau être interdits dans la plupart des pays, ils prennent, selon les experts, une ampleur qui ne cesse de croître. La police n’a pratiquement aucune chance face à la mafia des organes, et la question n’est régie par aucune réglementation internationale. 'La clientèle s’étend', déclare Nikola Biller-Andorno, qui s’occupe de la question à Genève pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’Europe compte à elle seule 40 000 personnes en attente d’un nouveau rein. Les intéressés doivent en moyenne patienter trois ans avant d’obtenir un nouvel organe, et le délai risque bientôt de passer à dix ans compte tenu du manque de donneurs. Cet allongement aura des conséquences mortelles : de nombreux patients en attente de transplantation mourront avant. Pour ne pas perdre un temps précieux, nombre d’entre eux se tournent vers le marché noir. 'On n’y trouve pas que des reins et des foies. On peut acheter des rétines, des yeux entiers, des valvules, des parties du cerveau, pratiquement tout', affirme Nancy Scheper-Hughes. Cette anthropologue américaine qui enseigne à l’université de Berkeley, en Californie, a fait du trafic d’organes son principal sujet de recherche. Le prix des organes d’occasion varie considérablement. Aux Etats-Unis, une greffe de rein peut coûter jusqu’à 200 000 dollars, alors que quelques milliers de dollars suffisent dans les hôpitaux des pays moins développés. Avant la chute de Saddam Hussein, Bagdad était la destination favorite du tourisme des greffes. 'On ne dispose cependant pas de chiffres précis sur l’ampleur du trafic dans le monde', confie Nikola Biller-Andorno. Une chose est sûre : c’est une véritable mafia qui contrôle le marché, et elle n’hésite pas à s’en prendre aux cadavres – en Afrique du Sud, par exemple. Andrew Sitshetshe, 17 ans, de la township de Guguletu, mourut lors d’une fusillade entre bandes rivales et son corps fut conservé à la morgue. Quand ses parents voulurent dire adieu à leur fils, ils découvrirent avec horreur que les yeux du jeune homme avaient disparu. Les voleurs d’organes doivent être très bien informés, car on ne dispose que de vingt à trente minutes après le décès pour prélever des organes vendables. Les experts excluent donc que les victimes du tsunami asiatique aient pu attirer les voleurs. 'Les corps se décomposent très vite sous le climat des tropiques', explique Lars Rothermund, médecin au CHU de la Charité de Berlin. La mafia des organes s’est depuis longtemps assuré des complicités au sein du corps médical – au Brésil, par exemple. Selon Nancy Scheper-Hughes, les organisations criminelles travaillent en coopération avec des directeurs d’hôpital, des médecins urgentistes et des ambulanciers. Les trafiquants d’organes opèrent aussi dans les grandes métropoles du tiers-monde. Les pauvres hères de Rio ou de New Delhi font l’affaire de leur vie en vendant un de leurs organes. On a récemment démasqué un gang international qui proposait des reins de Brésiliens pauvres dans une clinique de Durban, en Afrique du Sud. Les bidonvilles du sous-continent indien représentent également une mine pour les malades européens, arabes ou asiatiques qui ont désespérément besoin d’un nouvel organe. Les jeunes Indiennes, en particulier, sont tout à fait disposées à passer sur le billard et à vendre leurs organes pour se constituer une dot. On appelle d’ailleurs 'ceinture des reins' les régions où cette activité est le plus florissante. L’Europe pauvre n’est pas en reste. En Moldavie, par exemple, un nombre croissant de personnes sont prêtes à mettre leur corps sur le marché. Elles perçoivent moins de 3 000 euros pour un rein – qui se revendra dix fois plus cher en Turquie. Ce dernier pays est, selon la police belge, devenu la plaque tournante du trafic d’organes international. La Toile n’a fait qu’accélérer les choses. En quelques clics, les acheteurs trouvent le rein ou le pancréas qui convient. Mais les transactions ne sont plus aussi transparentes qu’il y a quelques années : en 1999, un acquéreur avait offert 5,7 millions de dollars pour un rein sur eBay, le site de vente aux enchères en ligne. Le portail interrompit la procédure. La police est quasi impuissante. Un fonctionnaire d’Interpol à Lyon note que le trafic d’organes est 'un secteur très difficile, parce que les lois sont différentes selon les Etats'. De fait, la question n’est toujours pas réglementée à l’échelle internationale, ce que souhaiterait pourtant l’OMS. De plus, le silence règne chez les trafiquants comme chez leurs clients, car tout le monde en profite : les patients gagnent quelques années de vie, le donneur encaisse souvent une jolie somme et le négociant empoche sa marge. Pourquoi aller trouver la police dans ces conditions ? Certains économistes, comme le Prix Nobel Gary Becker, demandent même la légalisation de ce marché. Tout être humain devrait selon lui être libre de faire ce qu’il veut de son corps. 'Toutes les tentatives, que ce soit en Amérique ou en Europe, visant à convaincre les gens de donner leurs organes ont échoué. Il faut trouver d’autres solutions.' La libéralisation, espère-t-il, coupera l’herbe sous le pied aux criminels. L’OMS y est catégoriquement opposée. 'Les gens qui vendent leurs organes de leur vivant sont souvent endettés. Et ils souffrent souvent de séquelles par la suite – entre autres parce qu’ils ne bénéficient pas d’un suivi postopératoire correct', explique Nikola Biller-Andorno. Et les conséquences à long terme de l’ablation d’un organe restent inconnues. Dans la 'ceinture des reins' indienne, les conséquences du trafic sont, elles, bien visibles. Quand, dans les bidonvilles, un souffle de vent soulève le sari des femmes ou la chemise des hommes, il dévoile les traces de l’opération : une cicatrice en forme de faucille."

Source :
Article de Jan Dirk Herbermann
Handelsblatt
http://www.courrierinternational.com

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