"Dans Le Monde.fr, Daniel Benamouzig, sociologue au CNRS-Sciences Po et à l'université d'Oxford, revient sur la volonté, exprimée dans le projet de loi, de supprimer la révision périodique de la loi de bioéthique tous les cinq ans et de confier à l'Agence de la biomédecine (ABM) la charge 'd'éclairer le Parlement sur l'intérêt d'éventuelles évolutions ultérieures du droit'. La stabilité des principes de bioéthique (primauté de la personne humaine, de son intégrité, non patrimonialité du corps humain...) étant reconnue, Daniel Benamouzig estime que ces principes gagneraient 'à être pérennisés plutôt que réexaminés périodiquement au risque de laisser accroire à leur caractère provisoire'. Il ajoute que le transfert de responsabilité à l'ABM n'est pas sans péril. Il risque d'affaiblir 'la légitimité démocratique des règles bioéthiques' qui pourront 'être plus facilement contestées, jusque devant le juge. Le transfert de responsabilité risque aussi de souffrir des limites propres aux agences sanitaires, liées non seulement à leurs caractéristiques intrinsèques mais aussi à leur insertion dans une architecture institutionnelle encore floue'.
Si, depuis les années 1990, la création d'agences a permis de 'réformer et renforcer une administration notoirement sous-administrée', ces agences ont, avec le temps, 'recomposé de nouvelles bureaucraties' et 'malgré des efforts de transparence, leur responsabilité démocratique s'en est trouvée réduite'. L'ABM ne fait pas exception après 5 ans d'existence.
La particularité de l'ABM réside dans 'son insertion originale dans un dispositif institutionnel impliquant plus directement le Parlement, à travers le réexamen des lois de bioéthique'. Daniel Benamouzig remarque que la révision de la loi de bioéthique a été l'occasion en France de solliciter plusieurs sources au-delà du seul cadre parlementaire, avec entre autres, les Etats généraux de la bioéthique. Pourtant, l'agencement de ces diverses sources demeure incertain : 'd'aucuns doutent de leur utilité, d'autres dénoncent le caractère verrouillé des débats, et d'autres encore se montrent prudents quant aux risques de manipulation. Dans un contexte si incertain, il appartient au Parlement de préciser une nouvelle architecture des responsabilités en vue d'une évolution des normes bioéthiques'.
Pour Daniel Benamouzig, il conviendrait d'étendre le périmètre des sujets touchant à la bioéthique, car de nombreuses questions biomédicales et sanitaires, non abordées dans le projet de loi, peuvent nécessiter des avis relevant de l'éthique. Il insiste sur le fait que 'la production d'avis éthiques ne saurait se concevoir sans des liens forts avec l'ensemble de la société, sauf à assumer une dérive technocratique'. Si l'Agence de biomédecine s'efforce de créer ces liens avec des représentants d'usagers ou des philosophes dans son conseil d'orientation ou par des recherches en sciences sociales, 'cette ouverture reste entachée par une distinction, largement tacite, entre des espaces ouverts et des espaces plus confinés, réservés aux représentants de la science, de la technique et de la biomédecine. Si le conseil d'orientation de l'agence est ouvert, son conseil scientifique ne l'est pas'.
Afin que d'autres sources de légitimité démocratique soient prises en compte pour évaluer ce qui relève de l'éthique, Daniel Benamouzig propose donc la création d'une grande Agence nationale de l'évaluation en santé et non de biomédecine exclusivement. 'Cette agence aurait compétence en matière d'évaluation éthique, mais cette compétence serait élargie à d'autres principes d'évaluation, non seulement scientifiques, médicaux et éthiques, cela va de soi, mais aussi économiques et sociaux'. Une telle agence, permettant d'examiner de façon transversale les aspects éthiques de nombreuses questions sanitaires, débordant le strict champ de la bioéthique, suppose toutefois une 'volonté politique forte' conclut-il."
Le Monde.fr (Daniel Benamouzig) 22/10/10
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