NDLR: Lire également notre article "Le don d'organes à coeur battant, nouvelle preuve d'inhumanité", ainsi que cet article de la presse australienne.
Le donneur d'organes n'était pas mort
"REANIMATION. Les chirurgiens ont cru défaillir: un homme dont le cœur était arrêté depuis une heure trente et sur lequel ils allaient prélever des organes s'est réveillé. Ce cas parisien récent soulève bien des questions.
Jean-Yves Nau, Paris, Le Monde Mercredi 11 juin 2008
C'est une affaire aux frontières de la vie et de la mort. Un dossier qui suscite émotion et réflexion chez les professionnels de la réanimation médicale et chez les responsables chargés de la bioéthique. Qui les oblige à se demander quels critères objectifs permettent de dire à partir de quand un malade sur lequel on pratique une réanimation peut être considéré comme un donneur d'organes. Sachant que ces organes, une fois greffés, permettront de prolonger l'espérance de vie d'autres malades. "
"Début 2008, à Paris, un homme âgé de 45 ans présente tous les symptômes d'un infarctus du myocarde. Intervention quasi immédiate du SAMU. Une réanimation est mise en œuvre moins de dix minutes après l'accident. Mais elle ne permet pas d'obtenir une reprise spontanée des battements du cœur. Les médecins choisissent de poursuivre la réanimation durant le transport en urgence vers le service spécialisé de l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière. A l'arrivée, le cœur ne bat toujours pas. Après analyse du dossier, les médecins commencent à considérer leur patient comme un donneur potentiel d'organes: un donneur dit «à cœur arrêté».
La suite de l'affaire est rapportée dans le compte rendu officiel d'une réunion du groupe de travail sur les enjeux moraux de ce type de prélèvements qui a été récemment constitué au sein de l'«espace éthique» de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). On y apprend que, lorsque les chirurgiens pouvant pratiquer les prélèvements d'organes arrivent au bloc, leurs confrères pratiquent le massage cardiaque depuis une heure et trente minutes, sans résultat apparent.
Mais, au moment même où ils s'apprêtent à opérer, les médecins ont la très grande surprise de découvrir que leur patient présente des signes de respiration spontanée, une réactivité pupillaire et un début de réaction à la stimulation douloureuse. «Autrement dit, il existe des «signes de vie» - énoncé équivalant à l'absence des signes cliniques de la mort», lit-on dans le compte rendu, qui se poursuit ainsi: «Après plusieurs semaines émaillées de complications graves, le patient marche et parle, les détails concernant son état neurologique ne sont pas connus.» Aucune précision n'est donnée quant au fait de savoir s'il a eu ou non connaissance du projet de prélèvement...
Au cours de cette même réunion, plusieurs autres réanimateurs évoquent des situations «où une personne dont chacun était convaincu du décès survivait après des manœuvres de réanimation prolongées bien au-delà des durées habituelles». Chacun concède alors qu'il s'agit là «d'histoires tout à fait exceptionnelles, mais que l'on rencontre au cours de sa carrière». Les participants soulignent que, si les recommandations officielles actuellement en vigueur avaient été suivies à la lettre, la personne «aurait probablement été considérée comme décédée».
Un tel cas n'aurait pas pu survenir avant 2007, quand la pratique des prélèvements «à cœur arrêté» n'était pas autorisée en France. Les prélèvements d'organes n'étaient alors effectués que chez des personnes en situation de coma dépassé et chez lesquelles la mort cérébrale était dûment confirmée par des examens électrographiques et neuroradiologiques.
Pour répondre à la pénurie chronique de greffons disponibles, les responsables de l'Agence de la biomédecine décident de lancer, début 2007, un programme expérimental chez des personnes dont le cœur venait de cesser de battre faute d'avoir pu être réanimées par massage cardiaque, ventilation mécanique et, parfois, circulation extracorporelle. Cette initiative est prise sur la base de résultats obtenus dans plusieurs pays étrangers. L'Académie nationale de médecine avait estimé que ce protocole «satisfait à toutes les dispositions éthiques et déontologiques».
En pratique, les prélèvements ne peuvent être effectués que dans les six heures qui suivent l'arrêt cardiaque initial et en respectant une série de précautions techniques et éthiques. «Le cas rapporté sur le site de l'espace éthique de l'AP-HP est celui d'un patient pour lequel la mort n'a jamais été constatée, fait-on valoir aujourd'hui auprès de l'Agence de la biomédecine. Le prélèvement en vue d'une greffe n'était donc pas envisageable à ce stade de la prise en charge du patient.»
Auprès de l'Agence, on rappelle que cette pratique est instaurée depuis des années à l'étranger: «En Espagne, par exemple, l'activité de prélèvement sur donneurs décédés après un arrêt cardiaque représente à Barcelone et Madrid respectivement 20% et 63% des prélèvements.»
En France, plus de 13000personnes sont en attente d'une greffe d'organe et, en 2007, on a recensé 231décès directement dus à l'absence de greffons disponibles. Le programme expérimental de prélèvement «à cœur arrêté» a d'ores et déjà permis de disposer d'une soixantaine de greffons supplémentaires. "
Lire également:>>> Le don d'organes à coeur battant, nouvelle preuve d'inhumanité?
Le Temps/Le Monde
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