Les prothèses temporaires sont opérationnelles, les définitives sont en vue (article de 1995) : l'odyssée scientifique de l'assistance circulatoire mécanique et du coeur artificiel ...
"La première implantation d'un coeur artificiel a eu lieu il y a quarante ans, sur un chien. Elle a ensuite connu une longue histoire d'échecs. Les techniques se sont cependant améliorées, et, depuis une dizaine d'années, des dispositifs bien supportés par les malades sont utilisés cliniquement. Une partie de leur appareillage, notamment la source d'énergie, reste cependant à l'extérieur du corps. L'intégration intracorporelle de cet élément se situe à un horizon encore lointain.
Les maladies cardio-vasculaires sont dans les pays occidentaux la cause la plus fréquente de mortalité. Au premier rang de ces décès, l'insuffisance cardiaque, c'est- à-dire l'incapacité du coeur à assurer la circulation du sang qui apporte l'oxygène à l'organisme. Cette maladie entraîne entre 10 000 et 30 000 décès par an dans notre pays. Mais les transplantations, dont les possibilités plafonnent à quelque 800 par an dans notre pays, ne peuvent couvrir tous les besoins existants, en raison du nombre limité de donneurs de coeur(1). Pour remédier à cette pénurie, on étudie depuis une quarantaine d'années des substituts mécaniques du muscle cardiaque, qui commencent à être utilisés quotidiennement. Dans l'idéal, ils s'adressent aux patients âgés de moins de 65 ans ne présentant pas d'autre maladie (infectieuse ou cancéreuse) que leur insuffisance cardiaque.
Il existe aujourd'hui de nombreux systèmes d'assistance ou de suppléance cardiaque. Ils restent des 'coeurs partiels' : les plus élaborés sont les ventricules artificiels, qui déchargent les ventricules défaillants de leur fonction. Ils sont branchés en dérivation sur le coeur malade, qui est laissé en place et conserve ainsi une chance de récupérer. Les ventricules artificiels ont été conçus pour une implantation temporaire, dans l'attente d'une transplantation. Mais comme ces attentes sont parfois très longues, on commence à les utiliser de façon plus durable. Ces systèmes constituent des modèles précieux pour la mise au point du coeur artificiel total. Celui-ci devra répondre à trois exigences : être entièrement implantable, se substituer définitivement au coeur naturel et prendre entièrement en charge la fonction des deux ventricules.
Avant de décrire ces substituts, il faut se rappeler comment fonctionne le coeur humain. Ce muscle compte quatre cavités : deux oreillettes et deux ventricules. Il a une fonction de pompe, exercée en deux temps : durant la diastole, le coeur se relâche et les valves entre les oreillettes et les ventricules s'ouvrent, laissant le sang remplir les ventricules ; durant la systole, les ventricules se contractent et chassent le sang vers les poumons et le reste du corps. Ce sont ces ventricules, principalement le gauche, qui travaillent et fatiguent le plus.
L'histoire du coeur artificiel commence en 1957, quand les chirurgiens américains Kolff et Akutsu parviennent à maintenir un chien en vie avec un coeur en plastique fonctionnant à l'air comprimé. Si l'exploit technique est considérable, la survie n'excède guère une heure. Durant la décennie suivante, plusieurs autres systèmes sont expérimentés chez l'animal. La première implantation humaine d'un appareil placé en dérivation sur le coeur malade est réalisée en 1962 par Mikaël de Bakey, à Houston. Après une assistance de huit jours, le malade survivra avec son propre coeur pendant une dizaine d'années. Le 2 avril 1969, la première implantation en substitut du coeur déficient excisé est tentée chez l'homme par Denton Cooley et Domingo Liotta à l'hôpital St Luke de Houston sur un malade dont l'état est désespéré, et qui meurt le 8 avril. Peu après, deux autres malades sont opérés et meurent peu après eux aussi.
Ces échecs freinent la recherche, et ce n'est qu'en 1982 qu'elle est vraiment relancée. A Salt Lake City, l'implan-tation effectuée sur un homme pesant 100 kg, Barney Clark, est suivie par les médias du monde entier. L'appareil implanté, conçu par William Kols et réalisé par Robert Jarvik, est un coeur mécanique à deux ventricules, branché sur les oreillettes en lieu et place des ventricules natifs. Il est activé par un système externe à air comprimé. Le malade doit être réopéré et meurt 112 jours plus tard, à l'issue de complications infectieuses. En 1984, cinq opérations similaires sont menées dans l'optique d'un remplacement définitif. La Food and Drug Administration oblige alors les chirurgiens à mettre un terme à ces essais, compte tenu de la survie trop brève des malades opérés.
'Le seul intérêt de ces tentatives a été de mettre en lumière les problèmes existants, déjà identifiés par l'expérience animale : prothèses trop volumineuses, risques d'embolie et d'infection', dit le professeur Daniel Loisance, de l'hôpital Henri- Mondor de Créteil. 'Les recherches se sont alors orientées dans d'autres directions , si bien que l'on dispose aujourd'hui de tout un éventail de systèmes d'assistance cardiaque qui se rapprochent progressivement du coeur artificiel idéal, tout en présentant des bénéfices thérapeutiques immédiats pour le malade.'
Ces systèmes restent réservés aux malades atteints d'insuffisance cardiaque terminale , c'est-à-dire dont la vie est menacée à court terme. Avant d'en arriver là, les médecins disposent d'un arsenal thérapeutique qui a beaucoup progressé au cours des dernières années. Ce sont avant tout les traitements médicamenteux qui retardent et parfois enrayent la progression de la maladie. Ce peut être également une nouvelle technique chirurgicale : la cardiomyoplastie. Développée dans les années 1980, principalement sous l'impulsion du professeur Carpentier, de l'hôpital Broussais, à Paris, cette méthode consiste à renforcer la contraction cardiaque en greffant sur le coeur malade un muscle squelettique* prélevé sur le patient lui-même. Cette technique n'est toutefois d'aucun secours lorsque l'insuffisance cardiaque est parvenue à un stade terminal.
Après une défaillance cardiaque aiguë, comme un infarctus ou une myocardite (inflammation du coeur), il arrive dans moins de 25 % des cas que le muscle récupère une partie de ses capacités, au bout de quelques jours ou de quelques semaines. C'est pourquoi, lorsque les médecins espèrent une récupération en cas de crise aiguë, ils tentent de préserver le coeur en le déchargeant temporairement de son travail.
Les systèmes de circulation extracorporelle en sont l'instrument. Ils sont formés d'un circuit conduisant le sang du corps vers une pompe extracorporelle et, lorsque le malade est en situation d'arrêt ventilatoire, vers un oxygénateur, d'où le sang revient oxygéné dans le corps. Ce circuit est établi entre une artère et une veine périphériques par de petits tuyaux appelés 'canules' qui traversent la peau. Le sang est aspiré à travers une pompe extracorporelle centrifuge : c'est un dispositif muni d'aubes radiales qui, en tournant, propulse le sang avec un débit proportionnel à la vitesse de rotation.
Cependant, ce circuit provoque un important traumatisme sanguin : éclatement des globules rouges, dû au choc mécanique, mais aussi dénaturation des protéines du sang et réaction inflammatoire liée à l'activation des globules blancs (principaux effecteurs de l'immunité) et des plaquettes (cellules responsables de la coagulation du sang). C'est pourquoi l'assistance extracorporelle ne peut excéder quelques jours. En outre, pour pallier les risques d'embolie, le malade doit absorber des médicaments anticoagulants (généralement de l'héparine), dont les effets secondaires, saignements ou réaction allergique, ne sont pas négligeables.
Une alternative consiste à mettre en place, au sein même du ventricule gauche, une hélice de type 'vis sans fin' , qui aspire le sang dans la cavité ventriculaire et l'éjecte dans l'aorte (2). Cette hélice a été conçue en 1985 par un ingénieur américain, Richard Wampler, qui s'est inspiré de l'observation en Egypte de meuniers utilisant une vis sans fin pour hisser leur grain. L'hélice (environ 9 millimètres de long) est introduite par l'artère fémorale au moyen d'un cathéter souple. Une fois en place, elle est entraînée à grande vitesse (25 000 tours par minute) par un câble, protégé par une gaine en Téflon et mû par un moteur électrique extracorporel. Ce système, baptisé 'hémopompe', soulage notablement le ventricule défaillant. Se passant d'oxygénateur, il est adapté aux cas où la fonction pulmonaire reste assurée. Il a cependant ses limites, liées aux difficultés d'insertion, à la formation de caillots dans la cavité ventriculaire et à l'insuffisance du débit sanguin qu'il autorise : 3,5 litres de sang par minute, contre 5 à 6 pour un coeur sain. Son emploi ne peut donc excéder quelques jours.
La deuxième grande catégorie de systèmes regroupe les appareils destinés aux malades dont le coeur ne pourra pas récupérer spontanément ses fonctions, permettent une assistance cardiaque prolongée. Ainsi les 'coeurs de Jarvik' du nom de leur premier concepteur, sont implantés en lieu et place du coeur natif. Le chirurgien excise les deux ventricules malades. Puis, sur les oreillettes laissées en place, il branche les substi-tuts ventriculaires implantés dans la cage thoracique. Ces substituts sont des chambres cloisonnées par une membrane en deux compartiments. L'un contient le sang, l'autre de l'air pulsé. L'air déplace la membrane à intervalles réguliers, chassant ainsi le sang vers l'artère pulmonaire ou vers l'aorte. Des canules traversent la peau au niveau du thorax, reliant le compartiment gazeux à un compresseur extracorporel, volumineux et peu mobile, qui produit l'air comprimé actionnant la membrane.
Ce dispositif, commercialisé par la société Cardiawest, de Tucson (Arizona), présente de sérieux inconvénients : l'autonomie du malade, relié en permanence au compresseur, reste très limitée. De surcroît, le risque infectieux dû aux tuyaux qui traversent la peau est important. Enfin les chambres ventriculaires sont encombrantes (900 cm3) et compriment poumons et oreillettes, altérant les fonctions pulmonaire et circulatoire. Néanmoins, 'ce système reste parfois la seule solution, notamment quand un infarctus provoque la rupture de la cloison entre les deux ventricules' dit Daniel Loisance.
Un autre procédé de suppléance durable consiste à laisser le coeur intact et à brancher les ventricules artificiels en dérivation sur les ventricules naturels. Ceux-ci continuent de laisser passer le sang, mais ils battent à vide, indépendamment du ou des ventricules artificiels. Les chambres ventriculaires, intra- ou extracorporelles, sont reliées au coeur natif par des tubes. Le sang est aspiré dans une des oreillettes et réinjecté dans l'artère pulmonaire (ventricule droit) ou dans l'aorte (ventri-cule gauche). Ces ventricules artificiels sont constitués de cinq éléments. La chambre ventriculaire proprement dite contient le compartiment sanguin, où le sang est pompé grâce à divers types d'énergie : pneumatique (dispositif à air pulsé), hydraulique (modèle similaire, où l'air est remplacé par de l'huile), centrifuge (le sang est propulsé par la rotation d'un système à aubes), électrique (le compartiment sanguin est un sac que vient comprimer le déplacement d'un piston mû par énergie électrique) ou électromagnétique (le compartiment sanguin est comprimé par le brusque rapprochement de deux bobines de fil conducteur au passage d'un courant).
Deuxième élément : des valves qui, à l'entrée et à la sortie de la chambre ventriculaire, assurent la progression du sang dans la bonne direction.
Troisième élément : le transformateur, implanté, convertit l'énergie électrique en une forme utilisable pour le pompage du sang. Ainsi, dans le modèle électrique, la rotation du moteur électrique génère un mouvement de translation alternative dans un système de cames : la pièce rotative est munie de saillies qui, à chaque tour, soulèvent un levier s'appuyant sur elles. Ce levier adopte alors un mouvement de va-et-vient qui actionne le piston comprimant le compartiment sanguin.
Quatrième élément : la source d'énergie, toujours extracorporelle dans les modèles actuels. Il s'agit d'un compresseur dans les modèles pneumatiques, d'un moteur électrique ou de batteries dans les modèles centrifuge, électrique ou électromagnétique. Enfin, un système de régulation adapte le débit du sang aux besoins de l'organisme en oxygène. Ces besoins sont évalués par la mesure du débit du sang qui revient aux ventricules.
Parmi les dispositifs que nous venons de décrire, les ventricules extracorporels assurent une assistance de quelques semaines. La plupart fonctionnent à l'énergie pneumatique. En 1983, un premier malade était équipé d'un mono-ventricule pneumatique extracorporel par les professeurs Don Hill et John Farrar, au Medical Pacific Center de San Francisco. En 1986, un premier malade français a bénéficié d'un biven-tricule extracorporel, dans l'équipe d'Alain Carpentier. Ce patient, qui a pu être transplanté ultérieurement avec succès, vit encore aujourd'hui.
Le caractère extracorporel d'une partie de ces dispositifs les rend difficiles à supporter pour le malade. Le compresseur, volumineux (1 mètre de haut sur 0,60 mètre de large et autant de profondeur), est très peu mobile. Le patient doit rester hospitalisé jusqu'à ce qu'il soit greffé. Enfin, le risque infectieux n'est pas négligeable, du fait des canules qui traversent la peau. Le coût d'un ventricule pneumatique extracorporel varie de 100 000 à 250 000 francs, à quoi il faut ajouter le coût de la surveillance du malade pendant la durée de l'assistance.
Pour se rapprocher du véritable coeur artificiel entièrement implantable, biventriculaire et quasi définitif, il fallait donc réduire l'encombrement des prothèses, en s'affranchissant de l'élément le plus volumineux : le compresseur. C'est pourquoi l'on s'est progressivement tourné vers des systèmes à énergie électrique, dont la source est facilement miniaturisable sous forme de piles.
Dans ces systèmes intracorporels , le ventricule artificiel (gauche, presque toujours) est implanté dans la paroi abdominale, tout comme le transformateur d'énergie. Il est branché en dérivation entre la pointe du ventricule natif gauche, qui reste en place, et l'aorte. Seuls sont déportés en dehors du corps le système de régulation et la source d'énergie. Celle-ci est constituée de batteries rechargeables, d'une autonomie d'environ quatre heures. Les batteries sont portées à la ceinture ou en bandoulière. Le malade peut donc se déplacer librement, l'énergie électrique étant transmise au ventricule artificiel par un câble électrique qui traverse la peau. Ces systèmes peuvent rester implantés plusieurs mois voire plusieurs années.
Deux modèles, tous deux américains, sont utilisés en clinique humaine : le ventricule Novacor (de la compagnie Baxter) et le ventricule TCI (de Heartmate). Le système Novacor, dans sa version actuelle, a été implanté pour la première fois chez l'homme en 1993, dans le service de Daniel Loisance. Il s'agit d'un système électromagnétique : la chambre ventriculaire comporte une bobine de fil électrique à deux bras, reliés par des ressorts au compartiment sanguin constitué d'un sac en polyuréthane. Au passage d'un courant, les deux bras se rapprochent et les ressorts viennent comprimer le compartiment sanguin, éjectant un volume de 70 millilitres de sang. L'ensemble est encapsulé dans une enceinte rigide en époxy (16 cm de long sur 13 cm de large et 6 cm d'épaisseur), qui pèse 850 grammes.
Pour permettre le remplissage et le vidage du compartiment sanguin, l'intérieur de la chambre ventriculaire est mis en communication avec l'atmosphère extérieure par un conduit contenu dans le câble d'alimentation électrique. Un filtre, placé à l'interface avec la peau, assure la stérilité de l'air ainsi introduit. Cependant, le malade ne doit prendre ni bain, ni douche, afin d'éviter la pénétration de l'eau.
Le modèle électrique TCI, plus récent que Novacor, est en cours d'évaluation depuis dix-huit mois aux Etats-Unis. Il n'est pas encore utilisé en France. Dans ce système, le compartiment sanguin est comprimé par une membrane en polyuréthane recouverte de fibres de Dacron. Cette membrane est déplacée par un piston, lui-même animé par un moteur électrique via un système de cames. Le volume de sang éjecté à chaque cycle est de 80 millilitres. La surface du compartiment sanguin est recouverte de billes de titane. 'Ce revêtement rugueux pourrait diminuer le risque de thrombose et d'embolie' indique le professeur Jean-Raoul Monties, de l'hôpital de La Timone à Marseille.
Au total, plus de 600 patients dans le monde ont été équipés de ces prothèses, dont environ 500 avec le système Novacor (une quarantaine en France). Dans la moitié des cas, les malades ont pu être greffés par la suite, avec un taux de succès de 90 %. Dans l'autre moitié, malheureusement, les malades sont décédés des suites de leur maladie, le plus souvent au cours du premier mois après l'opération. Ces morts sont généralement imputables à une déchéance multi-organes liée à l'insuffisance cardiaque : reins, poumons et cerveau étaient déjà sévèrement atteints au moment de l'opération.
Mais les résultats sont parfois spectaculaires : grâce à leur ventricule artificiel, certains patients, jadis en situation désespérée, ont pu retourner vivre à leur domicile et poursuivre diverses activités. Certains vivent avec leur prothèse depuis maintenant plus de deux ans, recul maximal dont on dispose aujourd'hui. 'Ces systèmes permettent une attente dédramatisée de la greffe', dit Daniel Loisance. 'En outre, le ventricule gauche malade semble capable de récupérer, au bout de plusieurs mois, chez 10 à 15 % des insuffisants cardiaques chroniques. Ces patients pourraient alors être sevrés de leur prothèse.'
Pour autant, ces substituts cardiaques ne sont pas sans défaut. Si les risques d'infection, de thrombose ou d'embolie sont de mieux en mieux maîtrisés, il n'en va pas de même des problèmes techniques. Ainsi, les ventricules électromagnétiques sont relativement bruyants. Curieusement, ce problème est mieux toléré par le malade lui-même que par son entourage. Autre problème : les valves utilisées, les sacs ventriculaires en plastique et les systè-mes de cames sont soumis à une usure importante. Leur fonctionnement est garanti deux ans, ce qui correspond à la durée maximale d'implantation actuelle. Passé ce délai, comment se comporteront ces systèmes ? Faudra-t-il remplacer certaines pièces défectueuses ?
D'autre part, le coût de ces appareillages est important : 'Environ 1,5 million de francs, si l'on inclut l'installation et la surveillance d'une prothèse implantée en permanence', estime Jean-Raoul Monties. Néanmoins, ce coût serait comparable à celui de la prise en charge médicamenteuse des insuffisants cardiaques, selon Daniel Loisance.
Un progrès technique attendu est l'affranchissement du câble électrique transcutané. L'énergie des batteries sera transmise au système à travers la peau par induction électromagnétique. Un courant électrique alternatif passera à travers une bobine placée à l'extérieur du corps dans un appareil porté à la ceinture ; il y créera un champ magnétique dont la variation induira le passage d'un courant à travers une seconde bobine implantée dans l'abdomen en prolongement de la première bobine. D'autre part, comme on supprimera le câble transcutané permettant la communication de la chambre ventriculaire avec l'atmosphère extérieure, il faudra compenser autrement les variations de volume liées à la compression du compartiment sanguin. On envisage d'implanter dans le thorax une 'chambre de compensation volumétrique' remplie de gaz, qui injectera à intervalles réguliers un volume de gaz équivalent au volume comprimé dans la chambre ventriculaire. Cependant, cette chambre augmentera l'encombrement de l'appareil. De plus, les chambres actuellement étudiées ne sont pas parfaitement étanches, ni imperméables aux gaz.
Si ces dispositifs deviennent opérationnels, on aura quasiment réussi à faire un coeur artificiel total. Il faudrait alors systématiser le substitut biventriculaire, et pas seulement monoventriculaire. Il ne resterait plus ensuite qu'à parvenir à réaliser une source d'énergie implantable pour atteindre l'objectif.
La conception d'un coeur artificiel total se heurte encore à de nombreux problèmes. Pour Daniel Loisance, le premier d'entre eux est clinique (3) : les indications respectives des systèmes actuels restent à préciser, en regard des besoins potentiels en coeurs artificiels. Par ailleurs, on ne dispose pas à l'heure actuelle de biomatériaux parfaitement inertes. La mise en place d'une prothèse s'accompagne toujours d'un risque de réactions locales ou générales telles que thrombose, embolie ou réaction inflammatoire. La miniaturisation des prothèses constitue un autre obstacle technologique : les systèmes actuels sont trop volumineux (la chambre ventriculaire occupe environ 1 250 cm3) et trop lourds (la chambre ventriculaire pèse environ 0,8 kg, le transformateur 0,8 kg, la batterie 1,2 kg). Quant à la mise au point d'un système de régulation capable d'adapter le débit sanguin à l'effort physique, à l'émotion ou à un accident, elle reste à réaliser.
Sur un autre plan, l'acceptation par la société des coeurs artificiels reste à conquérir. Leur coût important imposera en effet des choix délicats, relevant de l'économie autant que de l'éthique : comme dans toute médecine de pointe, la question se posera de savoir jusqu'où il faut aller dans la tentative de prolonger une existence menacée, et à quel prix.
Mais arrivera-t-on vraiment à réaliser le coeur artificiel total et, si oui, dans quel délai ? Les avis des spécialistes divergent. 'D'ici 2 à 50 ans' répond, énigmatique, Alain Carpentier, qui étudie depuis sept ans un projet de coeur artificiel total en partenariat avec un industriel français. 'Pas avant l'an 2000, pour un ventricule artificiel permanent, et pas avant l'an 2010 pour un coeur artificiel total' renchérit Jean-Raoul Monties qui travaille sur un autre projet. Daniel Loisance est plus réservé : 'A mesure que les systèmes d'assistance ou de suppléance cardiaque actuels seront de mieux en mieux maîtrisés, et leurs indications de plus en plus précises, on découvrira peut-être que les besoins en ce véritable coeur artificiel sont limités, voire exceptionnels' ."
Article de Florence Rosier
(1) A. Carpentier, "Stratégie des thérapeutiques innovantes", 2e Colloque de recherche clinique de l'AP-HP, Paris, 6 et 7 décembre 1993, 340.
(2) D. Loisance, Encycl. Méd. Chir., Cardiologie-Angéiologie, 11-038-E-10, 1993, 6 p.
(3) D. Loisance, The International Journal of Artificial Organs , 16, n° 5 , 231, 1993.
http://www.larecherche.fr/content/recherche/article?id=20224