"Définition : en transformant la notion de décès, la médecine soulève bien des questions sur notre existence."
Source :
Courrier International, Hors-Série, octobre-novembre-décembre 2008, pp. 28-29 (lien)
"New Scientist, Londres : En mai 2008, plusieurs centaines de neurologues et de philosophes sont réunis dans la station balnéaire de Varadero, à Cuba, à l'occasion du Vème symposium international sur la définition de la mort. A priori, pas besoin d'être grand clerc pour définir la mort. Mais, pour peu qu'on s'y attarde, la frontière qui sépare la vie de la mort devient de plus en plus floue. Le problème est apparu, il y a une quarantaine d'années, avec la mise au point des premiers respirateurs. Grâce à ces appareils, les poumons du patient continuent à respirer et son coeur à battre alors même que son cerveau a subi des lésions importantes."
"Pour la première fois, on s'est alors posé la question de savoir si des individus pouvaient ou non être considérés comme décédés du seul fait que leur cerveau était mort. Pour certains philosophes, la destruction des lobes frontaux, où sont codés les souvenirs et la personnalité, suffit à déclarer la mort du sujet. Cette définition s'applique aux sujets en état 'végétatif permanent' - entièrement privés de conscience, mais encore capables de respirer sans assistance. D'autre contestent l'idée même de mort cérébrale et soulignent que le coeur doit cesser de battre avant qu'un corps puisse être considéré comme mort. Le compromis 'mort cérébrale totale', inscrit dans la législation de la plupart des pays industrialisés, consiste à dire qu'une personne ne peut être déclarée morte qu'après un arrêt irrémédiable des fonctions du cerveau."
"Il est devenu délicat de déclarer la mort cérébrale totale et irréversible"
"Quelle que soit la définition adoptée, les implications pratiques et politiques sont nombreuses. Par exemple, les médecins sont généralement obligés de traiter les vivants et d'arrêter tout traitement sur les morts. Les organes vitaux ne peuvent être prélevés que sur une personne déclarée morte, et les lois relatives à la mort cérébrale ont permis de maintenir en vie, sous respirateur, des coeurs, des foies et autres organes jusqu'à leur prélèvement en vue d'une greffe. Avec l'amélioration des techniques de diagnostic, il est devenu plus délicat de déclarer la mort cérébrale totale et irréversible. Premièrement, les lésions du cerveau sont bien plus complexes que ne le laisse supposer le modèle de mort cérébrale totale. Des lésions touchant de petites zones du cerveau peuvent entraîner une perte de conscience permanente, alors même que le reste de l'encéphale est intact. Dans les années 1990, les progrès de l'électroencéphalographie ont permis de détecter une activité cérébrale résiduelle chez de nombreux patients qu'on aurait jusque là déclarés en état de mort cérébrale. Le deuxième problème tient au fait qu'aujourd'hui la médecine permet de compenser de plus en plus la régulation de l'organisme par le cerveau, si bien que des médecins réussissent à prolonger indéfiniment la survie de certains patients en mort cérébrale. L'un des arguments en faveur de la définition de la mort comme arrêt total des fonctions du cerveau a été que les patients chez lesquels on avait diagnostiqué la mort cérébrale ne tarderaient pas à mourir, quel que soit le traitement médical. Or certains de ces 'morts' ont survécu pendant des années sous respirateur. Le troisième problème repose sur le fait qu'on en sait désormais davantage sur les mécanismes d'autoréparation du cerveau. Des médicaments et des thérapies géniques ont donc été élaborés afin de stimuler cette capacité d'autoréparation. Peut-être pourra-t-on bientôt fabriquer du nouveau tissu neuronal à partir des cellules des patients et le greffer dans les zones lésées. [Des chercheurs ont déjà pu créer des tissus du cortex cérébral à partir de cellules souches embryonnaires humaines : lire, ndlr.] Par ailleurs, les progrès des nanotechnologies et de la miniaturisation informatique vont permettre de traiter les lésions cérébrales par des implants. D'ores et déjà, l'implantation de connexions et de microprocesseurs permet d'établir une communication entre le cerveau et le monde extérieur et vice-versa, permettant à des sourds d'entendre, à des aveugles de voir, et à des paralysés d'utiliser des ordinateurs par la pensée.
Tous ces progrès font qu'il est de plus en plus problématique de diagnostiquer la mort cérébrale et d'affirmer avec certitude que la personne consciente est anéantie à jamais. Si certaines lésions cérébrales sont sans doute irréversibles, d'autres seront probablement réparables grâce aux progrès à venir, à condition de maintenir le patient en état de survie artificielle pendant l'attente. D'un autre côté, si l'on veut prolonger indéfiniment la survie des patients en état d'inconscience dans l'espoir de futurs traitements, il faut être prêt à en payer le prix social et émotionnel. En effet, les coûts médicaux et paramédicaux induits par une personne en état végétatif permanent dans le monde industrialisé sont plusieurs fois supérieurs au revenu moyen par foyer. Notre capacité à reconstruire des cerveaux détruits nous incitera peut-être à redéfinir la mort en tenant compte non plus de l'activité cérébrale, mais de l'identité de la personne."
"Evoluer vers une conception de la mort basée sur l'information ?"
"Pour prendre l'exemple le plus extrême, seriez-vous la même personne si tout votre cerveau, y compris vos souvenirs et votre personnalité, avait été détruit puis reconstruit vierge pour se développer de nouveau ? Si nous sommes notre personnalité et nos souvenirs, une nouvelle personne se retrouvant dotée de ce nouveau cerveau possédera-t-elle vos biens et vivra-t-elle encore avec votre conjoint ? Même si l'on évoluait vers une conception de l'identité et de la mort basée sur l'information, c'est-à-dire sur la mémoire et l'esprit, plus que sur le corps proprement dit, notre conception de la mort n'en serait probablement pas moins bouleversée. Ainsi, lorsque nous serons capables d'enregistrer la mémoire humaine directement depuis les neurones, nous pourrons sauvegarder, corriger et partager nos vies. Si chacune de nos pensées et chacun de nos sentiments sont incorporés dans les esprits et l'expérience d'autrui, est-il alors si important que nous continuions à exister personnellement ?"
Article de James Hughes, paru dans Courrier International n° 887, du 31/10/2007
Copyright : Courrier International
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"Mort à crédit" :
"Aux Etats-Unis, un cadavre vaut au moins 100.000 dollars (69.000 euros), annonce le 'Los Angeles Times'. La valeur du cadavre est en effet à la hausse depuis que des entreprises telles que 'LifeCell', spécialisées dans la production et la vente de tissus humains, en récupèrent certaines parties grâce auxquelles elles réalisent des bénéfices. En 2006, en raison de sa maîtrise de nouvelles technologies de génération de peau à destination des grands brûlés, la société a réalisé 140,6 millions de dollars de profits, soit 51 pour cent de plus qu'en 2005. Le quotidien californien dénonce ce genre de 'commerce' et s'étonne que le gouvernement ne le réglemente pas, d'autant que la vente 'de particulier à particulier' d'organes humains est interdite. Il rappelle aussi que les familles des donneurs d'organes décédés ne touchent aucune indemnité, pas plus que les donneurs sains, à propos desquels le département de la santé de l'Ohio se contente de déclarer : 'Grâce au don d'organes, des citoyens ordinaires comme vous-mêmes ont la chance de devenir des sauveurs, des héros."
Le donneur d'organes et sa famille sont-ils les dindons de la farce dans ce système, ou bien sont-ils les héros d'un système de solidarité, dont les principes fondateurs sont la gratuité et l'anonymat du don ? Difficile de trancher, c'est ce que l'article semble suggérer.
Source :
Courrier International, Hors-Série, Octobre-Novembre-Décembre 2008.
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