"La thérapie génique peut faire figure d'Arlésienne. Régulièrement, on nous annonce être tout près du but : les expérimentations conduites dans les modèles précliniques sont très prometteurs, voire spectaculaires, le passage à l'humain imminent. Mais la mise en place des essais cliniques semble pourtant toujours tarder. Philippe Moullier, directeur de recherche au CHU Hôtel-Dieu de Nantes, explique pourquoi."
"Les approches s'affinent et se diversifient. Les succès précliniques se multiplient et suscitent l'enthousiasme. Mais quand la thérapie génique profitera-t-elle enfin aux malades ? 'D'ici à cinq ans', nous annonce-t-on régulièrement, depuis près de vingt ans...
'Le problème est que plus nous avançons, et plus nous nous apercevons que les choses sont complexes', explique Philippe Moullier, directeur de l'unité de recherche Vecteurs viraux et transfert de gènes in vivo au CHU Hôtel-Dieu de Nantes (unité Inserm UMR649). Beaucoup d'approches de thérapie génique se fondent sur l'administration in situ de virus génétiquement modifiés, et 'lorsqu'il s'agit de charger la seringue, de planter l'aiguille dans le patient et de pousser sur le piston, il ne faut rien laisser au hasard car on ne pourra pas revenir en arrière'. En conséquence de quoi le chercheur avoue se poser quotidiennement une question à laquelle il n'a malheureusement pas de réponse : sur quels critères peut-on décider de passer du préclinique à la clinique lorsqu'il s'agit de thérapie génique ?
Des vecteurs viraux recombinants.
La thérapie génique vise à soigner les maladies génétiques en apportant aux cellules du malade un 'gène thérapeutique'. Ce gène est en règle générale une version fonctionnelle du gène défectueux à l'origine de la maladie du patient, ou un fragment d'ADN qui permet de réparer ce gène défectueux (comme dans le cas de la stratégie du saut d'exon).
La méthode qui semble actuellement la plus efficace et la plus pertinente pour délivrer le gène thérapeutique aux cellules malades se fonde sur l'utilisation de vecteurs viraux recombinants. Il s'agit de virus dont on a modifié le génome pour les rendre inoffensifs et incapables de se multiplier dans les cellules des patients. Leurs gènes de virulence ont été supprimés et remplacés par le gène thérapeutique.
L'efficacité de la méthode a été démontrée dans maintes maladies, sur des modèles allant de la cellule en culture au singe, en passant par la souris et le chien : l'administration de virus recombinant permet d'obtenir l'expression du gène médicament, entraînant une compensation du défaut génétique et un bénéfice clinique souvent spectaculaire.
Des problèmes sont apparus.
Cependant, divers problèmes annexes plus ou moins inattendus sont récemment apparus :
– dans beaucoup de protocoles, le vecteur recombinant est administré par injection intramusculaire. Les scientifiques imaginaient que les virus injectés allaient diffuser dans la fibre musculaire. Or ça n'est pas le cas. La concentration de virus et de protéines thérapeutiques peut en conséquence être extrêmement élevée au point d'injection, tellement élevée qu'elle peut induire une réaction immunitaire. Et, là les ennuis commencent :
1°) il devient impossible de traiter le sujet une seconde fois car le vecteur viral est immédiatement reconnu et détruit par le système immunitaire ;
2°) le sujet risque de développer une maladie auto-immune, son système immunitaire se retournant contre la protéine endogène non fonctionnelle que la protéine thérapeutique est sensée remplacer.
Des travaux conduits par l'équipe de Luis Garcia à l'Institut de myologie ont cependant récemment conduit à la mise au point d'un cocktail immunosuppresseur qui semble permettre de contourner ce problème (voir (...) [à la fin de l'article]) ;
– autre problème : si le virus diffuse mal depuis le point d'injection, il semble malgré tout capable de se disséminer dans l'organisme. Des autopsies, réalisées sur des animaux traités par thérapie génique des années auparavant, ont en effet révélé la présence du gène thérapeutique à distance du point d'injection, dans des organes où il n'a rien à faire. L'expression des transgènes dans des territoires inappropriés ne pouvant être formellement exclue, ce phénomène pourrait avoir des conséquences extrêmement délétères ;
– il y aussi la question du devenir de l'ADN viral. En s'intégrant au génome des cellules du malade, il risque de conduire à leur transformation tumorale. Un tel phénomène est d'ailleurs vraisemblablement à l'origine des leucémies développées par certains des 'bébés bulles' traités à l'hôpital Necker par l'équipe d'Alain Fischer et de Marina Cavazzana-Calvo. Cependant, l'utilisation de vecteurs viraux de type AAV semble permettre de s'affranchir de ce souci : l'ADN des AAV ne subsiste dans les cellules traitées qu'à l'état d'épisomes extrachromosomiques ;
– enfin, dernier problème en date, l'analyse détaillée du matériel génétique contenus dans des virus recombinants a montré qu'on pouvait y retrouver des fragment d'ADN qui ont servi à leur construction. On trouve, par exemple, des gènes codant pour des gènes de résistance aux antibiotiques qui servent de marqueurs lors de la genèse des génomes viraux recombinants. 'On ne sait pas si cela peut être dangereux ou non, mais ça soulève une nouvelle question', averti Philippe Moullier ; une question de plus à solutionner avant de pouvoir passer sereinement de la préclinique à la clinique.
Pourtant des essais ont démarré. 'Il faut bien finir par sauter le pas', commente le chercheur. 'Tous les points problématiques que j'ai détaillés sont issus d'observations réalisées par moi-même ou par d'autres au cours d'expériences précliniques. Mon propos n'est pas de juger ni de donner de leçon, mais de rapporter ces observations et d'avertir. Rien de permet de savoir ce qui se passera chez l'humain, et il faut garder en tête que les doses de virus recombinants utilisée au cours des essais cliniques sont différentes de celles qu'on injecte aux macaques lors des tests précliniques. Je ne suis pas pessimiste, je suis même plutôt optimiste' conclut-il. Alors ? Quand la thérapie génique sera-t-elle enfin suffisamment aboutie pour enfin entrer dans l'arsenal thérapeutique ? Dans cinq ans, peut-être."
ELODIE BIET : "Un cocktail immunomodulateur"
"Les réactions immunitaires suscitées par l'injection intramusculaire de vecteurs de thérapie génique pourraient être inhibées grâce à un traitement immunomodulateur administré le jour du traitement et les quatre jours suivants. Des expériences conduites chez la souris montrent en effet qu'une immunomodulation transitoire suffit à bloquer la production d'anticorps anti-AAV. Cette stratégie a permis de traiter à plusieurs jours d'intervalle différents groupes musculaires des animaux."
S. Lorain et coll., "Mol Ther", mars 2008, vol. 16, pp. 541-547
Source :
Le Quotidien du Médecin (lire)
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