"Un exploit qui semblait presque impossible.""Quarante ans après la première greffe cardiaque en Europe, Christian Cabrol*, 83 ans, 'l'homme aux 400 greffes' (1), s'active toujours 'de tout coeur' (2) pour promouvoir le don d'organes. De l'exploit aux besoins encore insatisfaits..."
"Le 30 avril 1968, l'équipe chirurgicale. Au premier plan, le Pr C. Cabrol, derrière, de gauche à droite Mme Cabrol (anesthésiste), les Prs M. Mercadier et G. Guiraudon" (Afp)
"Célèbre pour ses nombreuses publications, sur les pédicules segmentaires du poumon en 1953, le traitement chirurgical de l'insuffisance mitrale en 1965, la cure des anévrismes ventriculaires gauches en 1966 ou la chirurgie combinée valvulaire et coronarienne en 1975 entre autres, c'est essentiellement à la réalisation de la première greffe du coeur réalisée en Europe sur un malade, en 1968, que Christian Cabrol doit sa notoriété auprès du grand public. Cette transplantation a précédé la première greffe coeur et poumons en Europe sur un malade, en 1982, et la première implantation d'un coeur artificiel en France, en 1986.
Après s'être intéressé à la chirurgie pulmonaire, puis cardiaque dans le cadre de ses études de médecine, Christian Cabrol poursuit ses réflexions chez C. Walton Lillehei, dans le département de chirurgie de l'université du Minnesota (Minneapolis), qui a popularisé la chirurgie cardiaque. C'est là qu'il rencontre Christiaan Barnard, également en formation, et Norman Shumway, qui travaillait sur les greffes du coeur chez le chien à l'université de Stanford.
Un antécédent, trois circonstances. Cet 'antécédent' chez Lillehei et les résultats techniques obtenus par N. Shumway chez l'animal rendaient envisageable la transplantation cardiaque orthotopique chez l'homme. Le contexte socioculturel en vigueur aux Etats-Unis rendait toutefois difficile la tentative de transplantation cardiaque chez l'homme en raison de la nécessité de prélever un coeur battant. C'est dans ce contexte que C. Barnard a greffé, en décembre 1967, le coeur d'une jeune femme de 25 ans, victime d'un accident de la voie publique, sur Louis Washkansky, âgé de 53 ans. C. Barnard, plus tard victime de sa célébrité trop médiatisée, avait ainsi eu 'le très grand mérite' d'avoir osé briser le tabou consistant à prélever un coeur battant chez un être humain.
Parallèlement, à Paris, C. Cabrol travaille avec G. Guiraudon, dans le service du Pr Maurice Mercadier. Première circonstance favorable, G. Guiraudon avait travaillé avec le Pr J. Facquet, toujours audacieux ('Cela ne marchera pas, mais faites-le!'), et avait hérité de cet esprit pionnier. Deuxième circonstance, un patient en état de mort cérébrale à la suite d'un accident de la voie publique est hospitalisé dans le service de neurochirurgie de l'hôpital de la Pitié et son épouse autorise les prélèvements d'organes. Enfin, troisième circonstance, le chef de service, le Pr Mercadier, était en déplacement pour un congrès en Algérie. Après des tentatives infructueuses pour le joindre, C. Cabrol et G. Guiraudon ont réalisé la première greffe cardiaque européenne dans la nuit du vendredi 26 au samedi 27 avril 1968. Le 'passage à l'acte' était déjà envisagé, le receveur ayant été 'typé' dans le service du Pr Mathé depuis plusieurs jours. Dans une première salle d'intervention, G. Guiraudon a commencé à opérer le futur receveur, M. Clovis Roblain, âgé de 66 ans, tandis que dans une autre, contiguë, C. Cabrol intervenait sur l'homme dont la famille avait autorisé le prélèvement cardiaque. De très grandes précautions étaient prises, 'les artères coronaires ayant été constamment perfusées', comme le précisera en particulier le communiqué de presse du Pr Mercadier destiné aux journalistes, qui avaient vite appris l'exploit, malgré les tentatives pour garder le secret.
'Conformément à la technique de C. Barnard'. Il semblait néanmoins presque impossible de remplacer le coeur de M. Roblain, énorme et peu battant, par celui qui avait été prélevé, normal, 'gros comme deux poings', en le mettant en place dans la cavité péricardique du receveur, de très grande taille. Après la mise en place et les sutures, réalisées 'conformément à la technique de C.Barnard', est intervenu le moment particulièrement émouvant de faire repartir le coeur. Tout le monde 'a été secoué' par le choc délivré par le défibrillateur... 'Ça a marché', pour reprendre l'expression de C. Barnard.
A son retour du congrès en Algérie, dimanche soir, M. Mercadier, qui avait appris la nouvelle par la presse, était 'très en colère'. A tel point que C. Cabrol et G. Guiraudon ont été convoqués par le directeur général de l'Assistance publique de Paris. 'Il nous a passé un savon, tout le monde croyant que nous avions attendu que Mercadier s'absente pour faire cette greffe, ce qui n'était bien entendu pas vrai.' G. Guiraudon a dû 'me remonter le moral' à la suite de cette entrevue ('On ne s'en sort pas mal... Nous n'avons pas les menottes!').
Ultérieurement, une défaillance cardiaque est survenue et les membres de l'équipe de C. Cabrol se sont battus nuit et jour pour essayer de maintenir le coeur en marche. Le 30 avril, M. Roblain, alité depuis des mois, est décédé d'une embolie pulmonaire malheureusement non diagnostiquée.
La prouesse, dont le quarantième anniversaire est célébré notamment par l'émission d'un timbre de la poste, doit permettre d'insister sur les besoins encore insatisfaits en matière de greffe. La greffe cardiaque, comme celle d'autres organes, n'est aujourd'hui plus un exploit en raison des protocoles pharmacologiques d'immunosuppression, du suivi histopathologique des greffons et de l'assistance circulatoire. Néanmoins, en France, 12 000 patients sont en attente de greffe alors que 4 000 organes seulement sont prélevés annuellement et que plus de 200 personnes meurent chaque année dans notre pays, par manque de dons."
Article du Dr GERARD BOZET
D'après un entretien avec le Pr Christian Cabrol.
*Président de l'Association pour le développement et l'innovation en cardiologie (ADICARE), Institut de cardiologie du Groupe Pitié-Salpêtrière, Paris.
(1) « C. Cabrol. Mes 400 greffes cardiaques à l'hôpital de la Pitié », 1987, Paris, Plon éd.
(2) « C. Cabrol. De tout coeur, la nouvelle chirurgie cardiaque », 2006, Paris, Odile Jacob éd.
Le Quotidien du Médecin
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