La femme de 38 ans à qui les professeurs Devauchelle et Dubernard ont greffé une partie de visage se remet bien de son opération. Il faudra plusieurs mois avant de livrer un diagnostic définitif.
"Hier, à l'hôpital Herriot de Lyon, l'équipe médico-chirurgicale des CHU d'Amiens et de Lyon a donné des détails au sujet de la première greffe partielle de visage réalisée sur une patiente française.
A deux jets de pierre de la conférence, dans la chambre 114 du service V1 du professeur Jean-Michel Dubernard, la malade se remettait lentement d'une greffe de moelle osseuse destinée à améliorer la prise de la greffe qui lui a redonné un visage à Amiens. Comme Le Figaro a pu le constater, cette femme de 38 ans parle. Elle boit, elle mange seule, et son visage est mobile. Elle devra recevoir jeudi prochain une seconde infusion de cellules de la moelle de la donneuse".
Le film de la greffe de visage est le suivant :
"En mai 2005, le professeur Bernard Devauchelle, chirurgien maxillo-facial au CHU d'Amiens, examine cette femme mordue au visage dans la nuit par son chien. Les dégâts sont tels que d'emblée l'équipe d'Amiens voit en elle une candidate idéale à une greffe de certains tissus du visage.
Aussitôt, les chirurgiens saisissent l'Agence de la biomédecine pour demander, dans le cadre d'un protocole unique de recherche clinique, une autorisation pour cette seule malade. Le professeur Devauchelle contacte également le docteur Laurent Lantiéri (hôpital Henri-Mondor, Créteil) qui, en 2004, avait demandé au Comité consultatif national d'éthique un avis pour réaliser lui aussi une greffe de face. Cet avis négatif laissait tout de même une porte entrouverte pour les cas de figure où les délabrements étaient d'une telle ampleur qu'il est impossible avec la chirurgie classique réparatrice de restaurer les lésions et les fonctions de mastication, de parole, d'expression.
Consentement explicite
Aujourd'hui, le docteur Lantiéri accuse son collègue de lui avoir volé son protocole chirurgical, en particulier la préparation des dissections anatomiques. 'Ben voyons, s'insurge le professeur Devauchelle, personne dans notre équipe ne connaît l'anatomie de la face !' Plus sérieusement, il a indiqué qu'au-delà du fait que, dans les deux protocoles, il s'agit bien des mêmes veines, muscles, artères, son équipe a choisi une autre suture des structures musculaires, des nerfs.
En août, les Amiénois contactent le professeur Dubernard qui vient voir la malade. 'On va se faire massacrer par certains médias, annonce-t-il alors, mais, quand j'ai vu la malade, je n'ai plus eu une seule hésitation'.
L'Agence de biomédecine avait auparavant renvoyé les chirurgiens vers l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) pour qu'un comité d'experts multidisciplinaire évalue les risques et les bénéfices, et émette des recommandations. Il avait adressé aussi les chirurgiens au comité consultatif de protection des personnes (CCPPRB) de Picardie, qui ne s'opposera pas à cette greffe.
Le feu vert est donc donné, mais à plusieurs conditions : que la receveuse soit informée parfaitement des risques associés à ce type de transplantation, de l'échec possible, du rejet, de la nécessité d'un suivi psychologique et d'un traitement immunosuppresseur à vie. Il fallait aussi, lors de la recherche d'un donneur, obtenir un consentement explicite de la famille, étant donné la mutilation envisagée, après plusieurs entretiens et une période de réflexion (ce qui va au-delà de la loi), et pouvoir rendre un corps dans un état proche de son état naturel. Enfin, étant donné la pénurie d'organes actuelle, Carine Camby (Agence de la biomédecine) a indiqué que le feu vert n'avait été donné qu'à la condition que ce prélèvement ne fasse pas obstacle à d'autres prélèvements d'organes du donneur.
L'intervention a eu lieu le dimanche 27 novembre, en trois temps. Six chirurgiens pour le seul prélèvement de tissus du visage ont rejoint, à minuit quinze, dans un bloc opératoire du CHU de Lille, trois autres chirurgiens préleveurs d'organes.
Une plaie suturée
Seront prélevés sur la donneuse en état de mort encéphalique le foie, les reins, le pancréas et le coeur, en plus des tissus du visage. Fin des opérations à 5 heures du matin. Dès minuit et demi, au CHU d'Amiens, 8 chirurgiens, 7 panseuses et 4 anesthésistes commencent à préparer la receveuse. 'Etant donné que nous n'avions tenté aucune autogreffe, aucun geste pour éviter les rétractions, nous avons d'abord dû libérer les rétractions présentes, pour établir la souplesse, la mobilité articulaire', a expliqué le professeur Devauchelle.
Puis vint le temps de la pose du greffon moins de 4 heures après le prélèvement. La suture des artères, 'grosses comme une aorte de rat', des veines minuscules, et des nerfs 'fins comme des fils de haricot', des muscles de la face durera jusqu'à 16 heures. 'J'ai été stupéfait du résultat, on a eu le sentiment que la malade avait une plaie suturée, et pas une greffe', confie le professeur Devauchelle.
Dernière étape effectuée jeudi : la malade a été transférée à Lyon. Elle a reçu une infusion intraveineuse d'une préparation concentrée des cellules souches hématopoïétiques prélevées chez la donneuse. Cette technique a déjà bien aidé les greffés des mains à ne pas rejeter la peau des greffons. En effet, il convient de déclencher une sorte de tolérance immunitaire grâce à une petite proportion de cellules du donneur. Ces cellules ont une durée de vie brève dans l'organisme et ne risquent donc pas de déclencher la redoutable maladie du greffon contre l'hôte observée chez les greffes de moelle pour des leucémies ou des cancers.
Prochain rendez-vous important : jeudi prochain pour une seconde dose de cellules souches de donneur. Ensuite, il faudra des mois pour établir la prise de greffe, la repousse nerveuse et étudier quelles difficultés psychologiques perdurent pour cette malade suivie par quatre psychiatres".
Source :
Le Figaro Sciences et Médecine
Article de Jean-Michel Bader
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